Ruptures et continuités : Un siècle d’immigration et d’accueil de la diversité au Québec (1910-2010)
Conférence de Pierre Anctil
Université d’Ottawa
Résumé par Stéphanie Larouche-Leblanc
Le 23 octobre dernier, Pierre Anctil était à l’Université de Montréal afin de présenter les résultats de sa dernière recherche sur les discours des Canadiens français sur l’immigration depuis le dernier siècle. En effet, en étudiant les éditoriaux du journal le Devoir, il arrive à démontrer que les racines historiques de la réticence des Canadiens français envers l’immigration sont bien plus longues et profondes qu’on le pense. Il apparaît en fait que les perceptions d’aujourd’hui sont majoritairement constantes depuis un siècle, bien que d’autres ont évolué. Afin de bien décrire le phénomène historique qu’est l’immigration au Canada, Pierre Anctil découpe le dernier siècle en cinq grandes périodes d’immigration.
Premièrement, entre 1900 et 1918, la grande migration est considérée comme un moment clé dans l’ouverture du Canada à la diversité. À ce moment, il n’y a pas de sélection des immigrants comme de nos jours. De façon générale, à l’arrivée aux ports de Québec ou d’Halifax, les immigrants devaient continuer dans un train vers l’Ouest canadien, suivant les objectifs d’expansion territoriale du gouvernement fédéral. Mais plusieurs resteront à Québec et à Montréal. La position des francophones de ce temps—pour le moins les élites conservatrices qui s’exprimaient dans les pages de ce journal—est donc un rejet de l’immigration. De ce point de vue, l’immigration est perçue comme un phénomène nuisible qui réduit le poids des francophones au sein de la confédération. L’idée portée par les éditorialistes du Devoir est qu’il est impossible de s’intégrer au Canada français.
La deuxième période couvre 1918 à 1950. Pendant la période d’entre deux guerres, la population juive de la province de Québec est de plus en plus importante. Le Yiddish est vite devenu la troisième langue la plus parlée à Montréal. Le questionnement des Franco-canadiens est alors d’un autre ordre ; est-ce qu’il est possible d’intégrer des non-chrétiens ? C’est donc un double refus de la part des Canadiens français. Il va être aussi mis de l’avant que les Canadiens français sont des colons, qu’ils sont un peuple agricole, ce qui n’est pas le cas des Juifs qui sont venus, dont beaucoup faisaient partie d’une classe moyenne urbaine. Les Juifs sont donc encore plus stigmatisés. Depuis leur arrivée, ils ont été pris en charge par le système scolaire anglophone protestant.
Lors de la troisième période, de 1950 à 1978, les catholiques anglophones constituent la communauté d’accueil des immigrants. Les nouveaux arrivants sont donc scolarisés en anglais. C’est ce qui explique que les Italiens se soient anglicisés. Il est intéressant de mentionner qu’après la fin de la Deuxième guerre mondiale, les Juifs ne sont plus mentionnés dans les éditoriaux du Devoir. On trouve alors d’autres choses pour revendiquer contre l’immigration.
Dans la période de 1978 à 2007, la langue française devient plus importante que la religion. C’est à ce moment qu’il devient envisageable d’intégrer des immigrants; cela arrive en même temps qu’un nombre important d’initiatives politiques et actions publiques dans la foulée de la Révolution tranquille. Avec la création de la Charte de la langue française et le ministère de l’immigration au niveau provincial, on en vient au milieu des années 1980, à franciser et à intégrer les immigrants dans le milieu scolaire francophone.
Enfin, aujourd’hui, on remarque la réapparition d’une droite nationaliste. On voit aussi revenir le religieux comme un vecteur d’inquiétude et de rejet des immigrants. Pierre Anctil suggère à cet effet de mieux baliser ou encadrer les situations pour éviter un dérapage de discours dans l’espace public. Certes, dans les faits, il est plus difficile pour une minorité d’intégrer des immigrants. Mais comme Pierre Anctil l’a bien fait ressortir, l’encadrement de la diversité au Québec est un phénomène assez récent et les immigrants d’aujourd’hui se voient contraints de vivre avec cette conscience historique profondément ancrée dans une expérience collective (agricole, catholique, francophone) qui exprime des hésitations et des peurs à l’égard de l’immigration.