Nous vivons dans une période de mobilité humaine inédite (Nail 2015). Cette nouvelle réalité migratoire – que ce soit pour des raisons économiques, politiques, ou humanitaires- déstabilise les assises des sociétés d’accueil et nous oblige à repenser l’analyse de la cohabitation dans les espaces urbains diversifiés. Les dynamiques de cohabitation à l’ère de la « super-diversité » (Vertovec 2007) sont vécues à plusieurs échelles : à l’intérieur des foyers, dans les différents milieux de vie et contextes de travail, à travers les interactions dans l’espace public, et dans les différents contextes institutionnels. Certains types d’interactions contribuent positivement au sentiment d’appartenance à la société d’accueil et à la cohésion sociale de façon plus large. D’autres interactions renforcent les préjugés qui mènent à de nouvelles formes d’exclusion. Dans les conditions de proximité qui caractérisent les espaces urbains diversifiés, quels sont les différents types d’interactions qui ont le plus d’impact sur les dynamiques de cohabitation? Y a-t-il des situations récurrentes qui favorisent ou qui empêchent les liens de confiance entre les personnes ou les communautés? Quels sont les facteurs sous-jacents de ces interactions qui permettent de mieux comprendre la transformation sociale à l’ère de la super-diversité?
L’étude empirique de la cohabitation en contexte pluriethnique constitue l’un des plus grands défis pour l’étude de la migration pour les années à venir (Amin 2012). Dans ce projet nous proposons des outils spécialisés pour la collecte et l’analyse de données sur la cohabitation, non seulement entre les personnes des différentes communautés immigrantes, mais aussi entre ces dernières et les personnes et les institutions de la société d’accueil. La première phase de notre recherche nous a permis de constater l’existence d’un certain nombre de « situations interculturelles récurrentes » (White et Gratton 2017).
Ce projet de recherche a trois objectifs spécifiques: 1) proposer une typologie de situations interculturelles qui permettrait de faire l’analyse des dynamiques de cohabitation dans différents milieux de vie et de travail; 2) identifier un corpus de situations récurrentes qui ont un impact— positif ou négatif—sur la cohabitation dans un secteur ou sur un territoire donné; 3) faire des analyses approfondies d’un certain nombre de situations afin de comprendre les facteurs systémiques sous-jacents aux dynamiques de cohabitation. Notre programme de recherche est novateur à plusieurs niveaux. Non seulement la méthodologie donne accès à un grand nombre de données ciblées en relativement peu de temps, mais elle nous permet aussi de générer des données qui répondent aux préoccupations des acteurs directement concernés par les enjeux de la cohabitation. De plus, le cadre d’analyse proposé ici donne la possibilité de croiser des données territoriales et sectorielles, ce qui permettra d’identifier des facteurs qui traversent les différents contextes professionnels et milieux de vie dans des contextes de plus en plus diversifiés.
Dans le cadre de ces recherches, nous avons développé une méthodologie qui permet de repérer un grand nombre de données sur les dynamiques interculturelles en relativement peu de temps : l’Atelier des situations interculturelles. Cette méthodologie permet un repérage de données plus ciblées que le travail de terrain ethnographique traditionnel, en partie parce que les participants aux ateliers (intervenants, gestionnaires, décideurs) sont exposés aux enjeux de cohabitation sur une base régulière dans le cadre de leur travail. L’atelier de situation interculturelle est un outil méthodologique de collecte de données développée qui s’inscrit dans ce que nous appelons l’«ethnographie indirecte». La documentations des situations servira par ailleurs à la Plateforme d’études et de recherches sur les relations interculturelles (PERRI). Pour une description détaillée de la méthodologie et une discussion des résultats préliminaires des ateliers de recherche, voir White, Grégoire et Gouin-Bonenfant (2022).
Publications du projet:
White, Bob W., Mathilde Gouin-Bonenfant et Anthony Grégoire (soumis). «Talking about Difference: Cross-Cultural Comparison and Stigmatization in Anthropology and Beyond». Dans Anthropological Theory.
White, Bob W., Anthony Grégoire et Mathilde Gouin-Bonenfant (2022). «The Intercultural Situations Workshop: Indirect Ethnography and the Paradox of Difference». Dans Journal of Intercultural Studies 43, n°2: 283-301.
White, Bob W., et Marie D. Martel (2021). «An Intercultural Framework for Theory and Practice in Third Place Libraries». Dans Public Library Quarterly 41, n°3: 217-235.
White, Bob W., et Danielle Gratton (2017). «L’atelier de situations interculturelles : une méthodologie pour comprendre l’acte à poser en contexte pluriethnique». Dans Alterstice: revue internationale de la recherche interculturelle 7, n°1: 63-76.