Daniel Côté, membre du LABRRI, co-signe avec ses collègues de l’IRSST, Marc-Antoine Busque, Jaunathan Bilodeau et Martin Lebeau, un rapport portant sur le Portrait statistique des lésions professionnelles chez les immigrants au Québec.
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Résumé
La population immigrante connaît une croissance importante au Québec depuis plusieurs années. La proportion d’immigrants dans la population en emploi a augmenté de 8,3 points de pourcentage entre 2006 et 2021, passant de 10,9 % à 19,2 %. Cette augmentation de la représentativité des immigrants sur le marché du travail pose divers défis, notamment ceux liés à leur intégration ainsi qu’à leur santé et sécurité au travail (SST). Malgré l’intérêt croissant porté aux enjeux de la SST touchant les personnes issues de l’immigration, il n’existe pas de portrait statistique détaillé des lésions professionnelles indemnisées chez les immigrants au Québec. Dans ce contexte, cette étude vise à brosser un portrait statistique des lésions professionnelles chez les immigrants admis au Québec depuis 1980 ainsi qu’à identifier les groupes de travailleurs immigrants les plus fortement associés à la présence et la gravité de ces lésions.
Des données du recensement de 2016 et de l’Enquête sur la population active (EPA) de 2015 à 2017 ont permis de documenter les caractéristiques sociodémographiques des travailleurs immigrants ainsi que les caractéristiques des emplois occupés par ces derniers. De plus, puisque les données administratives de la CNESST ne contiennent pas d’information permettant d’identifier les travailleurs issus de l’immigration, un appariement couplant des données du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) et de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) à celles de la CNESST a été réalisé.
Les analyses ont d’abord montré que les immigrants présentent un niveau de diplomation plus élevé que celui des non-immigrants, davantage de surqualification, une proportion plus élevée de travail à temps partiel involontaire, une plus grande proportion de travailleurs autonomes et un taux de présence syndicale moins élevé. Ces disparités sont susceptibles d’influer sur les risques d’accident du travail.
De 2012 à 2017, la proportion des accidents acceptés à la CNESST qui surviennent à des immigrants est passée de 8,9 % à 12,2 %, une augmentation plus importante que l’augmentation de leur représentativité dans la population en emploi. De façon générale, les caractéristiques des lésions professionnelles chez les immigrants sont similaires à celles des non-immigrants. Les immigrants semblent toutefois avoir moins de lésions de courte durée et plus de lésions de longue durée que les non-immigrants. On rapporte d’ailleurs une durée moyenne d’indemnisation plus longue chez les immigrants.
Les résultats des régressions binomiales négatives, sur l’ensemble des accidents acceptés, révèlent un risque accru de blessures chez certains groupes d’immigrants, notamment les immigrants récents (admis il y a moins de cinq ans). Les analyses suggèrent que le risque d’accident devient similaire aux non-immigrants à mesure que le nombre d’années depuis l’admission augmente. Des analyses ont aussi été réalisées en ciblant uniquement les accidents avec perte de temps indemnisée de plus de 90 jours.
Ces cas, dont la gravité est considérée comme plus élevée, sont moins susceptibles d’être influencés par la sous-déclaration. Les résultats obtenus en utilisant ce sous- ensemble d’accidents, et à l’aide d’un modèle ajusté qui tient compte du sexe, de l’industrie et de la catégorie professionnelle, suggèrent que les immigrants ont un plus grand risque d’accident que les non-immigrants, et ce, pour toutes les catégories de nombre d’années depuis l’admission. Des analyses par stratification apportent des nuances en démontrant que les résultats obtenus dépendent de l’âge et du sexe.
Ce rapport confirme certaines conclusions établies dans la littérature, tout en ajoutant de nouvelles perspectives. Il met en lumière que les différences observées entre les immigrants et les non-immigrants, en termes de caractéristiques sociodémographiques et d’emplois ainsi que d’accidents du travail, sont principalement constatées entre les immigrants récents et les non-immigrants. Le nombre d’années depuis l’admission apparaît donc comme un facteur plus significatif que le simple statut d’immigrant. Les immigrants récents, et particulièrement certains groupes d’âge, semblent effectivement être plus à risque d’accident du travail que les non-immigrants. Ce rapport apporte également une contribution significative en mettant en évidence l’importance de cibler les accidents du travail plus graves, afin d’analyser les écarts de risque de lésions professionnelles entre les immigrants et les non-immigrants. En se concentrant sur les cas les plus graves, cela permet de réduire les biais potentiels liés à la sous-déclaration des accidents chez les travailleurs immigrants. De plus, il souligne l’importance d’adopter une perspective intersectionnelle pour comprendre la problématique des accidents du travail chez les immigrants et propose des orientations pour cibler les interventions visant à réduire ce risque.