Table ronde sur l’épistémologie de l’interculturel avec le GERACII

Le 19 mars dernier, le Groupe d’études et de recherches axées sur la communication internationale et interculturelle (GERACII) a organisé, en collaboration avec le Laboratoire de recherche en relations interculturelles (LABRRI), une table ronde ayant comme thème l’épistémologie de l’interculturel.

Résumé de la table ronde proposé par Laurie Savard

La table ronde a réuni sept conférenciers ainsi que plusieurs étudiants, acteurs communautaires, professeurs et chercheurs dans le but d’échanger sur:

1)    Les fondements théoriques et épistémologiques de l’interculturel

2)    Les modes de gestions de la diversité

3)    La notion d’interculturalité: bilan et perspectives

Le thème des fondements théoriques de l’interculturel était le premier sujet à discussion. Certains, comme Charles Blattberg, étaient d’avis qu’une théorie de l’interculturel n’est pas possible ni souhaitable; une théorie au sens grec du terme impliquant d’avoir une vision véridique et holiste sur une question. L’interculturel ne devrait pas impliquer une «vision de la vérité», mais bien une écoute de l’autre, plus contextuelle et moins unifiante, dans le but d’en apprendre sur l’autre. Son approche place le dialogue au centre d’une épistémologie de l’interculturel. Blattberg distingue deux types de dialogue: la conversation et la négociation. La négociation impliquerait une concession de valeurs vers un accommodement raisonnable, ce qui n’est pas assez. La conversation, elle, aurait comme but de transformer ses valeurs dans le contact avec l’autre pour arriver à une réconciliation.

Comme Blattberg, Gaby Hsab pense qu’une théorie n’est pas possible. Cependant, il pose la question différemment et se demande dans quelles théories ou épistémologies déjà existantes peut-on inscrire l’interculturel. Selon lui, cette quête est foncièrement interdisciplinaire et dialogique. Une épistémologie de l’interculturel serait centrée vers un processus de compréhension herméneutique, interprétatif, éthique et anthropologique. Dans le même sens, Hsab croit que les meilleures ressources théoriques pour encadrer l’interculturel sont la mondialisation et les théories de la réception. Rico fait valoir le grand apport des auteurs latino-américains dans la théorisation de l’interculturalité, dont la contribution de Catherine Walsh, qui souligne l’importance de la reconnaissance d’un mérite à la pensée autochtone.

Dany Rondeau précise qu’on peut penser à l’interculturel comme une compétence ou comme une façon de gérer la diversité, mais qu’elle se concentrera dans cette partie à l’interculturel comme concept qu’elle définie comme un «topos», ou un espace intermédiaire de compréhension mutuelle, qui surgit dans les sociétés pluralistes d’aujourd’hui. En ce sens, elle considère l’interculturel comme une catégorie épistémologique: une modalité de la connaissance qui articule notre rapport au monde ou à l’autre à partir d’une méthode. Cette méthode aurait comme condition première un perspectivisme, un doute épistémologique et une reconnaissance de la légitimité des autres perspectives culturelles. Ensuite, c’est au dialogue interculturel de faire son travail pour articuler ces conditions. Rondeau utilise la métaphore d’une maison avec plusieurs fenêtres, chacune illustrant une perspective différente sur l’extérieur. Le perspectivisme est alors de venir à voir la fenêtre même si sa transparence peut nous faire croire que notre horizon ne passe pas par elle.

Finalement, Bob White argumente qu’il est possible de théoriser l’interculturel, ou du moins il faut essayer de le théoriser ne serait-ce que pour des raisons pédagogiques. Il reprend les propos de ses collègues sur le fait que l’interculturel est fondamentalement interdisciplinaire. De plus, sur la question de la méthode qu’à souligné Rondeau, White fait ressortir que cette tendance de l’interculturel à être vu dans des termes de méthode confirme que celui-ci est toujours une question empirique, historique, contextuelle. Les outils théoriques qui pourraient le mieux encadrer la complexité de l’interculturel seraient la philosophie herméneutique, la théorie critique (Habermas) et la méthode ethnographique. White conclu en signalant que l’interculturel (ou une orientation épistémologique interculturelle) devrait être distingué de l’interculturalité (la réalité sociologique) et l’interculturalisme (la politique de gestion de la diversité) et qu’une théorie de l’interculturel devrait prendre en compte ces trois registres.

En réaction aux interventions des conférenciers, Christian Agbobli (animateur de la table ronde) a ouvert la période de discussion sur le premier thème en demandant s’il était possible de suspendre son jugement (epoche de Husserl) pour penser l’interculturel hors des barrières disciplinaires. Un membre de l’assistance a répondu à ceci que l’étude de la communication est probablement le grand absent et pourrait donner un nouvel angle à l’étude de l’interculturel. Carmen Rico supporte l’intervention de monsieur et propose que la communication pourrait combler la partie «écoute» dont parlait Blattberg et propose l’apport de la démarche de Levinas. Blattberg est plus ou moins d’accords avec cette reprise de Lévinas. Pour lui, l’interculturel est une démarche fragile qui naît toujours dans le conflit et la démarche de Levinas ne prend pas assez en compte cette fragilité ni la notion d’écoute. C’est aussi à cause de cette fragilité, qui demande d’être très flexible, que Blattberg n’aime pas le fait de théoriser l’interculturel; une théorie imposerait des modèles d’actions trop rigides pour une situation à ce point fragile.

Le deuxième thème discuté était celui des modes de gestion de la diversité. Bob White a d’abord soulevé que le mot «gestion» dérange et que toute politique de gestion de la diversité a un penchant assimilationnisme, monoculturel, qui est la marque de l’État-nation et qui est nécessaire à son existence. Parlant de l’interculturalisme du Québec, White affirme que de véritables relations interculturelles y resteront impossibles puisqu’un groupe y est a priori prioritaire à un autre. La critique n’est pas au Québec d’avoir monté une politique comme celle-là, mais bien de l’appeler interculturalisme puisque selon lui, elle n’est en rien interculturelle. Gina Stoiciu appuie White et rappelle que la gestion de la diversité est souvent pensée au niveau de l’État alors qu’elle devrait aussi être pensée au niveau des relations quotidiennes et au niveau des organisations. Conséquemment, nos politiques de gestion de la diversité ne sont pas des réalités empiriques; ils sont des discours, des visions. Ainsi, ces politiques de gestion obéissent à des philosophies nationales qui émergent dans un contexte précis.

Gaby Hsab s’identifie comme un de ceux qui ont de la difficulté avec la «gestion de la diversité». Pour lui, la diversité se vit, elle ne se «gère» pas. Comme Stoiciu, il fait ressortir que cette gestion n’est faite qu’en fonction des mythes fondateurs de l’État. Au Québec, ce mythe fondateur en est un d’exclusion et de domination (à cause du contexte historique entre francophones et anglophones) ce qui rend difficile les véritables relations interculturelles. Selon Hsab, ce contexte de mythes fondateurs met à l’avant-plan l’importance d’une analyse anthropologique de la gestion de la diversité. Il prend l’exemple des mythes fondateurs des États-Unis et du Canada qui sont très différents et qui ont accouché de manières distinctes de gérer le pluralisme.

Dany Rondeau aussi réplique être allergique au terme «gestion de la diversité» qui semble déranger tous les conférenciers. Cependant, elle propose qu’il est possible de faire de la diversité une expérience positive par l’enseignement de compétences. Elle donne l’exemple des cours d’éthique et de culture religieuse (ECR) qui ont comme but de développer ces compétences en semant le doute, en créant la curiosité chez les jeunes pour plus tard qu’ils soit capable de vivre, et même de penser les problèmes de société, avec l’autre. Enfin, pour Charles Blattberg, la «gestion de la diversité» actuelle dépend de la tolérance, de la négociation et de l’accommodement qui ne sont pas suffisants pour une véritable compréhension de l’autre. Pour lui, «gestion» implique quelque chose de trop technique et qu’il vaut mieux arriver dans un conflit interculturel en l’abordant maladroitement, donc en étant prêt à prendre des risques et à perdre la face. Pour Blattberg, ce risque est fondamental dans l’apprentissage, quel qu’il soit.

Enfin, Christian Agbobli commence cette deuxième période de questions en faisant ressortir que tous les conférenciers sont vraisemblablement mal à l’aise avec le terme de «gestion de la diversité». Cependant, il renchérit que de mettre de côté la gestion serait illusoire; l’État mettra toujours en place des politiques pour administrer la diversité. Il faut donc passer par-dessus ce malaise. Sur ce sujet, Bob White demande à ses collègues en communication si la gestion de la diversité devrait se faire par les mêmes principes peu importe le pallier; qu’il soit national ou interpersonnel. Gina Stoiciu répond que, selon elle, les politiques de gestions ne viennent pas que de l’État, mais aussi de la base, de la société. Elle rappelle que les politiques de gestions en France ou aux États-Unis sont venues d’urgence sociale. Mireille Tremblay, professeure au département de communication et membre du GERACII, répond à la question de White en affirmant que les priorités peuvent être les mêmes de palier en palier, mais que les stratégies d’applications ne seront pas les mêmes. Une autre participante, élève au GERACII, fait remarquer qu’il est d’ailleurs difficile d’établir ces priorités et ces valeurs dans une nation comme le Québec où la population se bat encore pour son indépendance politique.

Le troisième et dernier thème était de voir aux bilans et perspectives de l’interculturalité au Québec. Selon Carmen Rico, ce bilan tient dans certaines recommandations comme que la stratégie politique se rapproche plus de la compréhension des cultures et pas seulement à leur contact. Dany Rondeau, quant à elle, essaie de situer le mince bilan de l’interculturel en philosophie (sa discipline d’origine). Elle rappelle qu’il y a une préoccupation de penser une philosophie interculturelle depuis longtemps chez les philosophes hispanophones et que la philosophie pratique a plus de cadres pour penser l’interculturel. Mais cette philosophie, précise Rondeau, demande de sortir des cadres habituels de la raison, ce qui est difficile pour la philosophie. Selon elle, les avenues futures de l’interculturel sont dans l’interdisciplinaire où la philosophie penserait de pair avec les sciences sociales. Charles Blattberg, lui, recommande une vision d’intégration et non d’accommodement dans notre contexte pluraliste puisque l’intégration inclut une notion de dialogue. C’est, selon lui, l’approche la plus risquée, mais la meilleure. Bob White, quant à lui, pense qu’il est nécessaire pour le Québec de faire un bilan sur son passé pour travailler sur l’interculturel. Entre autres, il faut accepter que la politique de gestion du Québec et du Canada soit différente puisque les deux n’ont pas vécu l’histoire du pays de la même manière. Ceci va dans le même sens que quelques interventions faites dans le cadre de la table ronde. White remet sur la table le passé de colonie du Québec qui pourrait être un facteur dans le sentiment de danger face aux autres que le Québec vie présentement.

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