L’équipe du LABBRI voudrait partager avec vous la toute dernière entrevue de François Rocher au journal Le Devoir. Publié en date du 30 octobre dernier, le texte intitulé «L’idéologie d’un État postnational» propose une analyse du multiculturalisme canadien afin de remettre en perspective une idéologie, ses implications et son impact au Canada. Propos recueillis par Stéphane Baillargeon.
[Le multiculuralisme] a beaucoup évolué depuis octobre 1971, au moment de son énonciation par le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau. Au départ, le multiculturalisme ne visait pas à ghettoïser les groupes, mais à reconnaître leurs différences sur des bases ethnoculturelles, en fait sur des bases ethniques. On aurait pu alors parler d’une politique multiethnique, celle du pluralisme ethnique. Elle repose sur la volonté présumée des individus appartenant à des minorités ethniques de préserver leurs identités. Pendant les quinze premières années, on est allé dans ce sens. C’est devenu une politique officielle avec l’adoption de la Loi sur le multiculturalisme canadien par les conservateurs de Brian Mulroney en 1988. Le multiculturalisme est alors davantage construit comme une lutte contre les discriminations visant des groupes marqués par leurs origines. On utilise carrément le terme «race» dans la législation, en faisant référence à la couleur de la peau. Les phénomènes religieux ne sont évoqués que dans le préambule de la loi. À la longue, c’est devenu encore autre chose, un idéal à atteindre, une éthique publique de tolérance, de respect, de reconnaissance de la diversité ethnoculturelle, sans toutefois la reconnaissance de ce que j’appellerais une société d’accueil.