Cohabitation

Responsable de l’axe de recherche : Pierre ANCTIL
Problématique

De plus en plus, il semble prévisible que les sociétés occidentales, ou du moins les grandes agglomérations urbaines de l’Europe et de l’Amérique du Nord, vont entrer dans une ère de super diversité culturelle et linguistique, une situation pour laquelle les autorités en place ne sont généralement pas préparées. Il s’agit d’ailleurs d’une évolution extrêmement rapide qui risque de prendre par surprise l’ensemble de la classe dirigeante. Ce contexte difficile augmente l’isolement des nouveaux venus et retarde leur intégration à une éventuelle société d’accueil. Il en résulte une segmentation plus profonde du tissu social et une plus grande difficulté de la part des réfugiés de franchir les barrières qui se dressent aujourd’hui devant eux sur le plan de la mobilité socio-économique ascendante. À cela s’ajoutent de nouvelles formes de discrimination qui ne sont pas tant raciales, mais liées au statut légal des personnes immigrantes et à la forme qu’a prise leur admission dans un pays donné. Dans les conditions actuelles, il est à prévoir qu’il sera beaucoup plus difficile pour les réfugiés d’obtenir le statut de citoyen et de se prévaloir des avantages d’un traitement équitable de la part de l’État hôte. Il n’est pas du tout certain que les solidarités qui s’étaient manifestées à l’occasion de mouvements migratoires antérieurs, comme dans le cas de réfugiés vietnamiens ou bosniaques, vont se reproduire dans un avenir immédiat. C’est une question que les chercheurs doivent aborder prioritairement.

Depuis une période de temps relativement courte, de nouvelles cohortes d’immigrants se sont présentées aux portes des sociétés industrielles avancées sans que leur arrivée soit médiée par des services consulaires réguliers ou par le recours à une planification à long terme. Certains de ces mouvements de population ont pris un tournant dramatique avec la guerre en Syrie ou les tentatives nombreuses et spontanées d’effectuer la traversée de la Méditerranée à partir du nord de l’Afrique. Il en est résulté dans plusieurs pays limitrophes du Moyen-Orient un afflux désordonné et sans précédent, qui tôt ou tard se dirige vers des grandes villes européennes ou nord-américaines souvent impréparées à recevoir des réfugiés en situation irrégulière. L’absence d’intermédiaires crédibles entre ces masses immigrantes et la société dominante pose un problème sérieux au niveau de l’intégration socio-économique des nouveaux citoyens. Le peu de contacts et de connaissances mutuelles préalables soulève aussi des difficultés majeures pour les intervenants gouvernementaux aux prises avec ces situations complexes. Il en résulte souvent une incapacité à court terme de réponde aux besoins réels des réfugiés et des personnes en situation illégale, en plus de donner naissance dans les médias à des préjugés ou à des stéréotypes tenaces. Ces problèmes sont encore aggravés par des actes terroristes sérieux perpétrés depuis quelques mois dans les pays occidentaux et qui soulèvent dans certains cas à l’endroit des personnes issues de l’immigration récente une suspicion extrême, ou à tout le moins une méfiance généralisée.

Cadre conceptuel

Le volet « dynamique de cohabitation et interaction » gagnerait à se définir à la confluence de trois disciplines propres aux sciences humaines, à savoir l’anthropologie, l’histoire, et la sociolinguistique. Des observations très fines sur le terrain sont nécessaires pour arriver à définir quelles sont les frontières identitaires plus précises qui existent entre la société dominante et les réseaux communautaires porteurs des identités minoritaires. Il nous faut comprendre en effet comment se transmettent dans l’espace public et privé les différences culturelles et religieuses. Nous devons aussi comprendre quelles parties du modèle dominant d’intégration socio-économique sont susceptibles d’être acceptées par les groupes en apparence plus réfractaires. La discipline de l’histoire d’autre part introduit une variable essentielle à l’étude de ces cas, qui est celle de la durée dans le temps et de la reproduction sur le long terme des modèles de participation à petite échelle. Une séquence chronologique bien établie est nécessaire pour arriver à saisir les mécanismes de reproduction sociale propres aux affiliations religieuses et aux cultures dissidentes, dont la capacité d’adaptation peut s’avérer beaucoup plus profonde qu’il n’apparaît de prime abord. Finalement, comme toute négociation sociale et culturelle entre majoritaires et minoritaires est aussi un exercice d’ajustement linguistique, un passage d’une langue à une autre, ou du moins d’un ensemble de signifiants culturels à un autre, il nous faut prendre en compte dans ce genre d’études les formes exactes que prend le discours. Ce qui est dit et véhiculé dans un contexte communautaire, et les images culturelles qui sont utilisées dans ce contexte forment des indices de premier plan en vue du décodage des positionnements minoritaires relativement à la société dominante.

L’approche privilégiée ici est d’aborder dans l’espace urbain les lieux et les occasions de rencontre entre personnes d’origine différente qui se produisent dans un contexte de résistance relative ou de non-soumission à l’unanimisme culturel ambiant. Plusieurs forces au sein de la société agissent pour entraîner une dissolution des différences linguistiques, culturelles ou religieuses, certains dues à l’immigration récente et d’autres pas. Or, on note à l’heure actuelle une réaffirmation plus marquée des traits et caractéristiques propres à certains groupes, dont les frontières identitaires apparaissent fortement définies et sujettes à une persistance à long terme. Il y a là une combinaison de facteurs qui présentent un intérêt certain pour la recherche et qui débouchent sur des questionnements relativement à la place que l’État et les grands réseaux sociaux peuvent occuper – ou pas – dans l’intégration socio-économique et l’assimilation culturelle des minorités. Le plus souvent, les raisons qui poussent certaines communautés à garder une distance avec la majorité démographique ont à voir avec la croyance religieuse et la volonté de conserver un éventail de valeurs traditionnelles relativement à l’éducation des enfants. Ces différences peuvent parfois prendre des formes assez radicales, tout comme elles peuvent aussi s’affirmer dans l’espace public de manière subtile et sans soulever de positionnement particulier de la part des autorités. Au même moment, il se développe à l’heure actuelle dans certains médias et chez certains porte-parole politiques une intolérance accrue envers l’expression même minimale de signes extérieurs de la croyance religieuse, qui pourrait mener à des nouvelles formes de discrimination et de dénigrement des minorités. Ces attitudes présentent des risques sérieux de déséquilibre et de durcissement du discours de l’État qu’il faut mieux comprendre.

 

Quelques thèmes
  • L’apparition et la persistance de communautés ultraorthodoxes sur le plan religieux dont les valeurs semblent peu compatibles avec la société dominante
  • Les modes d’interaction entre cohortes plus anciennes et immigrants récents
  • Le rôle joué par les organisations communautaires multiethniques dans l’intégration des nouveaux venus
  • Les dynamiques de cohabitation interculturelles ou interethniques dans le tissu urbain montréalais (l’avenue du Parc, le chemin de la Côte-des-Neiges et la rue Jean-Talon)