Dialogues sur la discrimination

Dialogues sur la discrimination:
un projet de réflexion critique et d’auto-éducation

Dans la recherche et l’enseignement sur la diversité, on fait souvent une opposition entre les approches interculturelles et les approches antiracistes. Mais qu’arrive-t-il lorsqu’on les met en dialogue? C’est ce qu’on tente d’explorer dans le projet 2D: Dialogues sur la discrimination. Des acteurs du milieu, travaillant avec une des deux approches, ou avec les deux à la fois, se sont rencontrés pour discuter de certains enjeux qui opposent souvent les approches interculturelles et antiracistes. Dans le cadre de ces dialogues, les participants au projet ont discuté de différents enjeux (sociaux, politiques, institutionnels) et réalités de terrain afin de rajouter de la lumière autour de ces deux approches, et surtout, de montrer l’importance de la complémentarité entre elles.

 

Présentation  du projet

Le 25 mai 2020, la planète entière a perdu son souffle à la vision de la mort de George Floyd sous l’emprise d’un policier américain, prononçant ses dernières paroles devenues depuis symboles de la violence policière et du racisme systémique: “I can’t breathe”. À partir de cet événement, le mouvement antiraciste a profité pour mobiliser une nouvelle génération d’acteurs et d’outils. Le mouvement a réussi à mettre plusieurs pans de la société devant la nécessité de faire de véritables remises en question, non seulement au niveau personnel mais aussi en termes institutionnels et collectifs.

Pour les membres du LABRRI, ces événements ont mis en lumière le besoin de poser des questions au sein de notre propre milieu de recherche et d’enseignement. À la suite à une série de réflexions individuelles, accompagnées de lectures sur le sujet, des membres du LABRRI ont décidé de faire ce travail de manière plus collective, en tenant compte, principalement, de la posture de recherche interculturelle. Nous voulions ainsi reconnaître le travail important du mouvement antiraciste et ses apports au vivre-ensemble.

Pour ce faire, nous trouvions important de prendre une posture d’écoute et de s’ouvrir aux approches antiracistes en explorant les limites et les angles morts de nos propres approches interculturelles. Alors que les deux approches sont souvent mises en opposition, qu’en est-il vraiment? Ne seraient-elles pas plutôt mobilisées différemment selon les contextes, les besoins et les objectifs? Finalement, n’y aurait-il pas des possibilités de mises en commun qui pourraient être porteuses pour la lutte contre la discrimination et pour le vivre-ensemble?

L’objectif principal de ce projet est d’explorer les ponts et barrières entre les approches interculturelles et antiracistes pour offrir un terrain fertile à la collaboration entre les deux approches dans la lutte pour la reconnaissance, la justice et l’équité.

En vue de faire cette lecture critique de la posture interculturelle à la lumière des courants anti-discrimination (White 2019), nous avons décidé d’organiser des causeries enregistrées sur différents thèmes en rapport avec le racisme et la discrimination systémique. Les causeries furent composées de dyades (une personne du LABRRI et une personne de l’externe). Pour s’assurer d’échanges productifs, le dialogue était précédé par un pré-dialogue qui a permis d’identifier quelques questions permettant de structurer le dialogue et d’évacuer un certain nombre de sujets intéressants (surtout lorsque deux personnes intéressantes font connaissance) mais moins pertinents à la discussion. Ainsi, le dialogue était organisé autour d’un thème et d’une série de 4 à 5 questions décidées avant l’enregistrement du dialogue.

Ces dialogues ont permis des échanges très intéressants. Ils nous ont ouvert un monde où les deux approches sont vues de façon complémentaire et non pas en termes d’une opposition irréconciliable. La complémentarité, même si souvent suggérée, est rarement explicitée ou théorisée et les échanges entre les participants ont permis d’aborder des situations concrètes où les approches sont mobilisées et mises en scène de façons parfois surprenantes. Les participants, aux parcours diversifiés et œuvrant dans des milieux variés, nous invitent à découvrir comment ils mobilisent les approches interculturelles et antiracistes selon les contextes, besoins et objectifs qui leur sont propres.

Suite à l’enregistrement de chaque dialogue, le LABRRI a organisé un atelier interne pour les chercheurs, les étudiants et les membres du labo afin d’explorer les possibilités d’intégrer ces apprentissages dans les activités de recherche et enseignement du labo. Il s’agit d’un atelier interne dans trois buts principalement: 1) explorer les actions concrètes à envisager des changements dans nos pratiques et structures internes ; 2) informer les analyses des dynamiques interculturelles et améliorer notre compréhension de la contribution des approches anti-racistes ; 3) renforcer la complémentarité des deux approches dans nos enseignements, formations et accompagnements.

Retombées du projet

RAPPORT-SYNTHÈSE: À la fin du projet nous allons produire un rapport-synthèse pour expliquer les retombées du projet. Ce rapport va expliquer non seulement les limites des approches interculturelles identifiées dans le cadre du projet mais aussi les possibles complémentarités avec les approches anti-racisme et anti-discrimination. Il doit aussi mentionner ce que l’on va préconiser comme actions concrètes dans la suite du projet et comment le projet a eu un impact sur les pratiques et structures organisationnelles.

ARTICLES SCIENTIFIQUES: Nous allons écrire plusieurs articles de journaux (revue avec comité de pairs) qui résument les résultats du projet et qui présentent un plaidoyer pour une approche interculturelle critique selon les analyses faites dans le cadre du projet. Un premier article qui fait la recension des écrits sur le sujet sera suivi par un article qui explique la grille d’analyse proposée ainsi qu’un troisième article qui fera l’analyse des dialogues. Cet ensemble de publications fera des propositions méthodologiques pour les chercheurs qui travaillent dans le domaine de l’interculturel.

Voici les dialogues qui ont eu lieu au cours du projet 2D

 

Dialogue 1
Approches interculturelles et antiracistes

Rachida Azdouz et Myrlande Pierre
Atelier interne du LABRRI: 4 décembre 2020

Rachida Azdouz, psychologue interculturelle, chercheure affiliée au LABRRI et Conseillère Vice-rectorat aux affaires internationales et à la Francophonie pour l’UdeM, rencontre Myrlande Pierre, Vice-Présidente du mandat Charte de la CDPDJ. Ensemble, elles explorent les glissements, souvent néfastes, existant entre l’interculturel en tant qu’IMAGE (telle que diffusée par l’État) et l’interculturel en tant qu’OBJET (ces approches réfléchies et utilisées par différents acteurs pour mettre en place un dialogue). Ce dialogue nous permet de rendre compte des difficultés posées par les différents registres de l’interculturel : une réalité sociale; une politique; une approche. Il s’agit d’un dialogue riche en matière d’histoire de l’interculturel au Québec et d’éléments théoriques qui fondent les approches antiracistes et interculturelles. Finalement, Rachida Azdouz et Myrlande Pierre nous offrent une performance qui nous pousse à réfléchir aux difficultés existantes pour concilier deux approches qu’elles considèrent pourtant comme complémentaires!

 

Dialogue 2
Privilège blanc et posture des alliés

Maude Arsenault et Fabrice Vil
Atelier interne du LABRRI: 5 février 2021

Maude Arsenault, coordonnatrice du LABRRI et doctorante en anthropologie à l’UdeM, rencontre Fabrice Vil, fondateur de l’organisme Pour 3 Points. Dans le cadre d’un dialogue axé sur le travail de terrain et les expériences personnelles, les interlocuteurs explorent leurs préconceptions des approches interculturelles et antiracistes, mais surtout à leur ligne séparatrice plutôt floue. Au fil du dialogue, les notions de privilège et d’allié sont explorées sous la loupe des parcours des invités qui teintent fortement leurs impressions, perceptions et questionnements. Ce dialogue nous fait comprendre l’importance du contexte et des objectifs lorsque nous analysons des situations et que nous décidons d’une manière d’agir. En résumé, Fabrice Vil et Maude Arsenault nous offrent un dialogue rempli d’humilité et d’écoute où les préconceptions se défont tout au long du dialogue. En écoutant ce dialogue on peut voir comment la curiosité permet d’aller au-delà des certitudes qui érigent des barrières dans la recherche de sens commun.

 

Dialogue 3
L’apport des approches intersectionnelles

Réginald Fleury et Bochra Manaï
Atelier interne du LABRRI: 5 mars 2021

Bochra Manaï, chercheure affiliée au LABRRI et Commissaire à la lutte contre le racisme et la discrimination systémiques à Montréal, a rencontré Réginald Fleury, coordonnateur aux Services pédagogiques à la Centre de services scolaire de Montréal. Ensemble, ils ont discuté de l’opposition ou de la complémentarité entre les deux approches. D’un côté, ils nous ont permis de comprendre que dans certains milieux, les approches sont utilisées de manière complémentaire selon l’intervention qui semble nécessaire. D’un autre côté, les interlocuteurs nous font comprendre que les institutions sont parfois lentes à s’adapter à la réalité d’une population qui se diversifie et qu’elles ont tendance à utiliser les activités dites interculturelles de manières trop superficielles. Finalement, l’approche intersectionnelle traverse la discussion pour rappeler l’importance de plonger dans la complexité lorsqu’il s’agit de comprendre la réalité des personnes qui subissent des discriminations.

 

Dialogue 4
Expériences et réalités de la discrimination

Habib El-Hage et Célia Bensiali
Atelier interne du LABRRI: 2 avril 2021

Habib El-Hage, chercheur affilié au LABRRI et Directeur de l’Institut de Recherche sur l’Intégration Professionnelle des Immigrants (IRIPI), a rencontré Célia Bensiali, coordonnatrice de TRYSPACE et chargée de projet pour le CDEC de Montréal-Nord. Suite à un survol historique de l’évolution de l’approche interculturelle au Québec, ils nous ont offert une réflexion dynamique sur les espaces de dialogues. Ils ont ainsi discuté des conditions nécessaires à la mise en place d’un réel dialogue, nous amenant aussi vers des idées pour sortir des cadres de dialogue déjà établis par la majorité, notamment les lieux “d’inversion”. Les invités ont élaboré sur la place de l’anti-racisme pour mettre en place ces conditions, en passant par les thèmes de l’éphémère/durable, des changements sociaux, et des structures et des institutions. Finalement, ce dialogue nous amène dans une réflexion sur une rencontre entre approche anti-raciste et interculturelle se faisant dans la mise en place de moyens concrets pour ouvrir le dialogue entre les diverses populations du Québec, tout en permettant aux populations souvent mises à l’écart d’y participer selon des balises qui leurs ressembles.

 

Dialogue 5
Biais implicites et racisme systémique

Bob White et Jacqueline Peters
Atelier interne du LABRRI: 7 mai 2021

Bob White, professeur d’anthropologie à l’Université de Montréal et directeur du LABRRI, rencontre Jacqueline Peters, professeur de linguistique à l’Université de Concordia. Leur dialogue a porté sur les stratégies pédagogiques pour aborder le racisme, notamment des biais implicites comme outils à cet effet. Ils ont donc discuté des différentes manières de définir différents concepts, comme le racisme, la discrimination, les biais implicites/inconscients pour assurer la réceptivité des auditoires, et leurs capacités et motivations pour effectuer des changements. Des enjeux particuliers ont été soulevés selon les publics cibles alors que les personnes issues de la majorité et ceux des minorités ont des besoins cognitifs et émotionnels différents lorsqu’il s’agit d’adresser les enjeux de racisme. En résumé, ce fût un dialogue très riche d’expérience très différentes des deux interlocuteurs en tant que pédagogue interculturel/antiracisme, mais aussi dans leur rencontre plus personnelle avec les questions raciales.

 

Dialogue 6
Profilage raciale

Jorge Frozzini et Vivek Venkatesh
Atelier interne du LABRRI: 4 juin 2021

Le dernier dialogue de la série 2D du LABRRI a eu lieu entre Jorge Frozzini (chercher régulier du LABRRI, professeur en communication à l’UQAC et Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en communication interculturelle et technologies de gestion en contexte pluraliste) et Vivek Venkatesh (professeur de pratiques inclusives en arts visuels à Concordia, directeur du centre d’études sur l’apprentissage et la performance et codirecteur de la chaire UNESCO pour la prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent). Ce dialogue offre une réflexion particulière sur le rôle de la recherche dans la lutte contre les discriminations, notamment celle de rester connecter au terrain et de donner une voix à ceux qui s’y trouvent. Lors de la discussion, ils abordent diverses structures, dont celles que financent la recherche et d’autres plus générales concernant la société. Il a été soulevé que les relations de pouvoir se trouvent profondément ancrées dans ces structures qui régissent les codes de notre société. Pour offrir des solutions inclusives, il faut comprendre/identifier ces structures pour les dénoncer. Ainsi, certaines initiatives très porteuses peuvent voir le jour, des exemples, en Abitibi-Témiscamingue, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, etc., sont mentionnées. De plus, ils touchent à une question fondamentale: comment intégrer cet exercice de réflexion (appelé centration) au sein de nos institutions?

 

 

Série webinaires


Interculturalism and Anti-Racism in Cities

Organisé par le LABRRI, la Ville de Montréal et le programme de
Cités interculturelles du Conseil de l’Europe

Devant l’engouement pour ce projet, le LABRRI, en collaboration avec la Ville de Montréal et le Conseil de l’Europe, a organisé une série de webinaires au sujet de l’utilisation des approches interculturelles et anti-racistes dans l’action municipale. Ce premier webinaire s’est adressé à celles et ceux dont le travail consiste à rendre les villes plus inclusives et a abordé les tensions entre l’interculturalisme et l’antiracisme au niveau idéologique et conceptuel. Pour en savoir plus…

 

Villes interculturelles et luttes contre le racisme

Organisé dans le cadre des conférences Anthropen

Cette conférence s’adresse aux personnes tentant de rendre les villes plus inclusives et abordera les tensions entre l’interculturalisme et l’antiracisme dans le but de trouver des moyens par lesquels les deux peuvent mieux se soutenir mutuellement dans la lutte mondiale pour l’égalité économique et la justice sociale. Avec la participation de l’équipe Anthropen: Francine Saillant (Université Laval – Canada), Martin Hébert (Université Laval – Canada) et Mondher Kilani (Université de Lausanne, Suisse).


L’interculturalisme et l’Anti-Racisme dans les Villes: de la Théorie à la Pratique

Organisé par le programme Cités interculturelles du Conseil de l’Europe et le LABRRI

Dans les villes du monde entier, les partisans de l’interculturalisme (une approche axée sur l’égalité, la diversité et les interactions positives) et de l’anti-racisme (une approche plus concernée par la discrimination sociale et raciale et la réparation des injustices) ont été actifs dans la lutte pour l’égalité et l’inclusion. Si les décideurs politiques et les activistes adhérant à ces deux «doctrines» ont clairement des objectifs communs, l’accent et les stratégies différentes qu’ils adoptent peuvent les empêcher d’unir leurs forces pour conduire un changement systémique. Au niveau théorique ou idéologique, on peut affirmer que les deux approches sont complémentaires. Dans la pratique, on a tendance à subordonner une approche à l’autre, sans se poser de questions fondamentales sur l’approche la mieux adaptée pour aborder un ensemble particulier de problèmes à un moment donné. En particulier, le modus-operandi de la coopération entre ces deux sensibilités et mouvements différents n’est pas suffisamment exploré.

 

 

Présentations


Dialogues sur la discrimination: Un projet du Laboratoire de recherches en relations interculturelles

Congrès de la Swiss Sociological Association
28-30 juin 2021: Social Justice in Times of Uncertainty
Université de Genève et Haute école de travail social de Genève (HES-SO)
Panel: Unexpected Inclusion: Migration, Mobility and the Open City

 

 

Le projet 2D a reçu un financement du Centre de recherches Cultures – Arts – Sociétés (CELAT)