Compte-rendu du panel du LABRRI pour la 16e conférence d’études canadiennes de l’université hébraïque de Jérusalem

Compte rendu par Maude Arsenault

Le 20 au 22 mai, l’équipe du LABRRI, soit Jorge Frozzini, Pierre Anctil, Joseph Lévy et Maude Arsenault, se sont rendus au 16e congrès d’études canadiennes de l’Université hébraïque de Jérusalem. Sur le thème de la globalisation et de l’innovation, dans une perspective comparative entre Israël et le Canada, le congrès a attiré des acteurs de différents milieux : science de la gestion, recherche et technologie, littérature, sciences sociales, enseignement, etc. Cette rencontre interdisciplinaire cadrait parfaitement avec le contexte interculturel de la ville de Jérusalem.

Le 22 mai en matinée a eu lieu le panel de l’équipe du LABRRI, intitulé L’intégration des immigrants dans la société francophone du Québec – Une perspective novatrice au sein de la société canadienne et nord-américaine dans son ensemble et présidée par Pierre Anctil. Celui-ci introduit le panel contextualisant la question de l’immigration au Québec, puisqu’au cours des quarante dernières années, le Québec francophone a négocié des arrangements juridiques et financiers uniques avec le gouvernement fédéral du Canada pour sélectionner et intégrer les immigrants dans la province selon ses propres modalités. Il s’agit notamment d’une disposition de la Charte provinciale de la langue française de 1977 destinée à inscrire les enfants des immigrants dans les écoles publiques de langue française et à permettre de prioriser les nouveaux arrivants qui s’adaptent aux besoins économiques et sociaux du Québec. Dans ce scénario, Ottawa demeure responsable de l’admission des immigrants au niveau international, mais laisse au Québec un large éventail d’options dans la décision finale d’accueillir des personnes ayant un profil professionnel et linguistique spécifique. De même, depuis le début des années 1990, le Québec a développé une approche programmatique de la diversité culturelle appelée “interculturalisme”, qui diffère nettement du ” multiculturalisme ” tel que défini au niveau fédéral. Ces notions divergentes se sont développées dans un climat de confiance relative entre les deux partenaires politiques et n’ont pas produit ce genre d’animosité que l’on retrouve dans d’autres sphères des relations fédérales-provinciales.

Le panel offert par l’équipe du LABRRI visait une discussion pour explorer si de telles innovations dans la sphère provinciale québécoise ont produit des résultats concluants, servant à la fois les intérêts de la société francophone, ceux des immigrants eux-mêmes et l’avancement à long terme de la fédération canadienne.

La première présentation fut donnée par Jorge Frozzini sur l’utilisation de sondage en lien avec l’immigration. En présentant d’abord la supposition généralement voulant que les enquêtes permettent d’obtenir des données pures et l’expression scientifique de ce que les gens pensent d’un sujet donné, Frozzini nous rappelle qu’elles restent l’expression d’une représentation particulière à un moment et dans un espace donné. De nombreuses enquêtes menées au fil des ans au Canada ont porté sur les questions d'(im)migration et un certain nombre d’entre elles ont été publiées dans les grands journaux depuis les années 1960. Comme nous le savons, les médias jouent un rôle important dans la sélection, la construction, la production et la consommation de l’information et des opinions exprimées dans les nouvelles. Cette présentation poursuit donc deux questionnements principaux : (1) comment la représentation de l'(im)migration a été exprimée; (2) comment la technologie des sondages agit comme un outil pour inclure et exclure des personnes qui appartiennent ou non à une nation?

Une analyse préliminaire de 145 articles journaux, écris entre 1960 et 2000, nous montre qu’il y a une tendance à utiliser les enquêtes avec le temps, cet outil est utilisé pour justifier une décision ou faire un argument « fort », principalement un argument économique et beaucoup ont lien à la question de quota. La population aurait toujours été majoritairement en faveur du maintien ou de la réduction de quotas d’immigrants reçus par année. Frozzini montre également qu’avec le temps, le sentiment face à l’immigration devient de plus en plus négatif, alors qu’il l’a toujours été quant à la présence des réfugiés. En effet, la population semble considérée, depuis plus de 60 ans, que le Canada fait plus que sa part.

En conclusion, les sondages participent à la construction de la réalité et souvent pour excuser les comportements de la majorité, même si les attitudes tendent a changé rapidement selon le contexte. Finalement, enquête se veulent objectifs, mais les questions biaisées manipulent l’opinion publique et la réalité, en plus de créer un contexte de surveillance pour les personnes immigrantes.

Les présentateurs suivants, Joseph Lévy et Maude Arsenault, se sont concentrés sur la question des formations interculturelles et des programmes d’éducation interculturelle en tant qu’innovation sociale, définie comme “une intervention initiée par des acteurs sociaux pour répondre à une aspiration, répondre à un besoin, apporter une solution ou profiter d’une opportunité d’action pour changer les relations sociales, transformer un cadre d’action ou proposer de nouvelles orientations culturelles ” (Klein, 2017).

À l’aide de mots clés comme diversité, gestion et innovation sociale, un ensemble de textes et de sites a été compilé et analysé pour cette recherche. L’analyse initiale indique que les programmes proviennent de diverses sources institutionnelles (entreprises privées, organismes sans but lucratif, institutions publiques, secteur parapublic, syndicats et établissements d’enseignement) et ciblent divers groupes (entreprises, secteurs sociaux et de santé, populations étudiantes, etc.) Le concept de diversité se caractérise par de multiples qualificatifs conceptuels (interculturel, culturel, ethnoculturel, multiculturel) qui reflètent les différents cadres de référence sociopolitiques utilisés dans le contexte canadien et québécois, souvent sans définitions claires. Les programmes de formation comportent plusieurs niveaux, allant de la réflexion théorique et empirique à des méthodes spécifiques de gestion de la diversité du point de vue des ressources humaines. Cette hétérogénéité se retrouve également dans les méthodes pédagogiques utilisées dans ces programmes (cours approfondis, sessions intensives, formations sur mesure, conférences, etc.). De plus, les formateurs ont des expertises très diverses (anthropologie, gestion, éducation, économie, droit). Lévy et Arsenault nous indiquent également que le taux d’attrition, au niveau des entreprises privées de formation interculturelle et d’organismes communautaires offrant de telles formations, est très élevé. Les objectifs de telles formations sont également très diversifiés. Parmi les 44 objectifs dénombrés, 16 visent la gestion de la diversité, 10 visent l’intégration des immigrants et 8 visent le développement d’habiletés en communication interculturelle. Les auteurs notent un important déséquilibre quant à la présence d’objectifs qui se concentrent sur les savoir-être, n’en dénombrant que 3.

Quant au programme d’éducation interculturelle, après avoir étudié la politique gouvernementale à ce sujet, Arsenault et Lévy se sont penchés sur la formation des futurs enseignants quant à cette éducation interculturelle. Ils observent ainsi que les universités offrant des programmes pour futur enseignant n’offrent que peu de cours sur la question d’éducation interculturelle au niveau des cours de bases. Dans 3 universités, aucun cours ne se concentre sur la question alors que dans 6 universités, un seul cours est donné, dont seulement 3 sont obligatoires. Dans les 2 universités anglophones, 2 cours sur la question sont obligatoires. En comparant les savoirs, savoir-faire et savoir-être présents dans la politique, dans les cours offerts dans le programme universitaire et dans les formations complémentaires offertes aux personnels scolaires, nous voyons une prédominance des savoir-être dans la politique gouvernementale (telle qu’ouverture d’esprit, respect, tolérance), un certain équilibre au niveau des cours universitaires et une nette prédominance des savoir-faire au niveau des formations externes (tels que stratégies d’intervention et pratiques pédagogiques) et, par le fait même, une absence de mention des savoir-être. De plus, même si ces derniers abordent des thèmes très divers (Arsenault et Lévy en dénotent plus de 100), la vaste majorité aborde les thèmes ayant rapport avec la diversité religieuse.

En conclusion, Arsenault et Lévy notent que le manque de précisions des objectifs d’apprentissage de la politique gouvernementale sur l’éducation interculturelle mène à une formation pour enseignant très diverse et diffuse. De plus, la quasi-absence des cours de tronc commun quant à l’éducation interculturelle et la prédominance de ceux-ci pour les futurs enseignants d’éthique et culture religieuse, font dire aux auteurs que l’éducation interculturelle est loin d’être transversale et la question d’interculturelle est surtout une question de diversité religieuse. Finalement, le domaine de la formation interculturelle est en construction au Québec, démontrant l’importance sociopolitique accordée aux innovations sociales dans ce domaine. Sa consolidation nécessitera des consultations plus appropriées entre les différents groupes d’acteurs pour assurer un approfondissement et une harmonisation afin de promouvoir une meilleure réalisation des objectifs interculturels préconisés par les autorités gouvernementales dans un contexte particulièrement complexe.

    Discover more from LABRRI

    Subscribe now to keep reading and get access to the full archive.

    Continue reading