Analyse de discours sur l’interculturalisme

Dans ce texte, Laurie Savard propose une première analyse de la notion d’interculturalisme à partir d’une revue de presse et de média préliminaire:

 

Dans ce billet, je tenterai de faire une analyse du discours qui ressort des médias (écrits, télé et les médias sociaux) sur le sujet de l’interculturalisme. Pour les besoins de la cause, toutes mes sources viennent d’internet. Pour élaborer mon analyse, j’ai commencé par étudier comment et dans quel contexte apparaissait le mot «interculturalisme» dans les journaux canadiens francophones. J’ai ensuite fait le même exercice avec les journaux canadiens anglophones. J’ai enfin regardé les vidéos disponibles sur le Web (toute plateforme confondue) et j’ai fini ma recherche sur les réseaux sociaux.

Commençons par les journaux francophones (j’y inclus aussi les sites de nouvelles comme Radio-Canada ou Cyberpresse).

La première chose qu’on peut remarquer en regardant les médias francophones est que l’interculturalisme est cité dans une grande majorité des cas dans les colonnes d’opinions et dans des articles en rapport avec des faits d’actualités. Les nouvelles qui ont le plus fait parler de l’interculturalisme entre 2007 et 2011 sont la Commission Bouchard/Taylor, Hérouxville, les accommodements raisonnables, le Symposium sur l’interculturalisme qui a eu lieu en juin 2011 à Montréal et les cours d’éthique et culture religieuse (ECR). Deuxièmement, on remarque que le discours des médias canadiens francophone semble être organisé à la manière d’un débat de société.

Grâce à http://www.wordcounter.com/, j’ai décortiqué 22 articles de journaux francophones et anglophones que j’ai analysés pour faire ressortir les mots qui viennent le plus souvent de pairs quand on parle de l’interculturalisme :

  • Québec – 100 fois
  • Multiculturalisme – 58 fois
  • Diversité – 41 fois
  • Culture et Bouchard (à égalité) – 42 fois
  • Accommodements et Religieux (à égalité) – 41 fois
  • Intégration, Politique, Débat et société (à égalité) – 38 fois
  • Symposium et Droit (à égalité) – 36 fois
  • Laïcité et Immigration (à égalité) – 35 fois

Dans les lignes qui suivent, je ferai un examen des thèmes qui ont fait ressortir l’interculturalisme dans les médias anglophones et francophones via une approche chronologique.

La première fois que le terme apparaît dans l’espace public québécois est lors de la commission Bouchard-Taylor en 2007-2008. Les articles de journaux sont nombreux à traiter du sujet. La première chose qui ressort est qu’il y a dans ce débat une zone floue entre religion et immigration. Nous nous souviendrons que la question tournait alors autour de signes religieux comme le port du voile ou du kirpan et des accommodements raisonnables. Cette question religieuse laissera une marque qu’est celle du débat sur la laïcité (en voir une preuve ici). À cette époque, je note que le mot «interculturalisme» ne semble pas encore être utilisé dans les médias québécois. Il fait son apparition dans le rapport de la commission Bouchard-Taylor et ne semble pas entrer dans le vocabulaire des Québécois avant 2009 avec la polémique sur les cours d’éthique et de culture religieuse (ECR).

C’est là où le terme «interculturalisme» semble arriver dans les médias francophones québécois. Il y a dans celui-ci un flou entre les termes «interculturalisme», «pluralisme» et «diversité» qui sont mélangés à un peu de «laïcité ouverte». Il faut cependant avouer que la question de l’ECR à l’école est plus reliée au multiculturalisme qu’à l’interculturalisme à cette époque. En lisant les articles liés à ce thème, il est évident que le terme n’est pas encore ancré dans le discours des médias québécois, mais il est tout de même présent. À l’époque, quand on parle d’interculturalisme, c’est pour le mettre dans le même bateau que le multiculturalisme. Autrement dit, le terme interculturalisme est non seulement relié à «pluralisme», mais aussi à «multiculturalisme» comme deux proches cousins. Par exemple, la sociologue Joëlle Quérin dira que: « j’ai démontré dans mon étude en quoi le cours ECR travaillait à la promotion du multiculturalisme. On m’a reproché d’avoir confondu le multiculturalisme, l’interculturalisme et le pluralisme. J’explique pourtant dans mon étude que tous ces termes renvoient à une seule et même philosophie, selon laquelle le Québec n’est qu’une somme de communautés unies par la seule Charte des droits et libertés» Source. On voit vraiment l’accolade entre multiculturalisme et interculturalisme en lisant ce commentaire de vidéo YouTube: «Mario Dumont dénonce le cours d’ECR dans lequel il voit un instrument du multiculturalisme (interculturalisme dans les termes de Bouchard-Taylor)» Source, ou dans ce commentaire d’un article de La Presse: « Le cours ECR découle de la même idéologie multiculturaliste interculturaliste des laïcistes “ouverts”. Ils veulent fabriquer un nouveau citoyen sans véritable appartenance et sans préjugés. Ce cours n’a pas sa place au primaire! Je me méfie des apprentis sorciers!»Source.
C’est à ce moment que semble arriver une étape de questionnement sur les deux modèles: interculturalisme vs multiculturalisme. C’est aussi à ce moment qu’il y a le plus de journaux canadiens anglophones (entre autres le Toronto Star, Montreal Gazette, Globe and Mail et CTV) qui traitent de l’interculturalisme. Les médias anglophones semblent voir le rejet du multiculturalisme et l’introduction de ce que Bouchard appelle la «majorité fondatrice francophone» comme une autre brisure entre le Canada anglais et le Québec (Voir ici et ici). Dans ces journaux, on ne parle pas de Gérard Bouchard, mais bien un groupe d’intellectuel québécois (voir source). Le débat devient vite un débat politique et idéologique.

Pour les médias anglophones, le débat semble en rester là jusqu’en février 2011 où le dossier reviendra sur la place publique avec la nouvelle des sikhs alors refusés à l’Assemblée nationale à cause de leur kirpan. Sur ce dossier, Louise Beaudoin (alors critique de l’opposition du PQ en matière de laïcité ) est appelée à parler aux médias canadiens pour expliquer la décision. Elle répond aux médias anglophones: «Religious freedom exists but there are other values. For instance, Multiculturalism may be a Canadian value. But it is not a Quebec one.». Source Les journaux anglophones répondent alors à ce qu’ils considèrent comme une attaque du parti séparatiste québécois contre les Canadiens: «Its backers say it can also help multiculturalism weather some of the attacks it has suffered recently. Those attacks have been most acute in Quebec, where a member of the Parti Québécois bluntly declared last month that “multiculturalism is not a Quebec value.”» Source. Or, ce sera une bataille Canada/Québec foncièrement politique et idéologique qui fut mise au monde lorsque Justin Trudeau (député libéral fédéral et le fils de l’ex-premier ministre Trudeau qui a été celui qui a emmené le Canada à voter la loi sur le multiculturalisme) tente d’expliquer aux anglophones en mars 2011 les propos de Mme Beaudoin dans une entrevue: «The word multiculturalism has become synonymous in the mind of many Quebecers as being something that is imposed by English Canada» Source

Les circonstances de ce nouveau débat politique sont intéressantes.

À la fin de l’année 2010, juste avant l’engouement des journaux anglophones sur le sujet de l’interculturalisme, les dirigeants européens comme Angela Merkel, David Cameron et Nicolas Sarkozy sortent en public et annoncent la défaite du multiculturalisme en Europe (Voir source ici). Or, en juin 2011, Gérard Bouchard organise le Symposium International sur l’Interculturalisme. Il le présente comme un symposium Amérique/Europe. Il y invite quand même des Canadiens anglais comme Will Kymlicka (qui dément une défaite du multiculturalisme au Canada), mais se repose surtout sur des Européens comme Gabriella Battaini-Dragoni (Voir site du symposium ici). Le rejet du multiculturalisme de ces politiciens européens était, pour Bouchard, une belle porte ouverte pour défendre son interculturalisme, mais a aussi été considéré comme un autre rejet d’une politique du «English Canada».  Bouchard fut d’ailleurs questionné sur le sujet dans cette l’entrevue où il essaie de rationaliser ses propos et ceux de Mme Beaudoin. Pourtant, les Québécois ne semblent pas plus contents que les Canadiens anglais du symposium de Bouchard qui semble mal reçu par le public, mais pour d’autres raisons;  les Québécois disent de pas vouloir rouvrir le débat comme le dit ce commentaire: «Bouchard-Taylor ont tergiversé sur les nuances entre multiculturalisme et interculturalisme. Leurs services se sont perdus dans l`insignifiance du produit offert» ( dans cet article du Devoir), ou celui-ci sur le même article: «Et là les sourds et aveugles universitaires et gouvernementaux s’apprêtent encore une fois à dépenser des gros sous pour nous gaver, à l’aide des européens, d’intégration et d’interculturalisme. Nous sommes tellement imbéciles les Québécois….On ne peut comprendre et digérer ces concepts…»

Toujours en 2011, pendant la couverture médiatique du Symposium, la firme de sondage Léger Marketing publie les résultats de son dernier sondage dans le journal La Presse qui montre que 53% des Canadiens et 55% des Canadiens francophones trouvent que les différences entre le multiculturalisme et l’interculturalisme ne sont pas claires (source). C’est à ce moment que Bouchard sort dans les médias québécois, écrit des textes et donne des entrevues télévisées sur le concept d’interculturalisme (en voir une ici et ici) qu’il essaie de clarifier et de vulgariser. Pourtant, les commentaires sur ces entrevues disent encore que Bouchard n’est plus le bienvenu. Je crois qu’il est possible de dire que l’interculturalisme est alors associé non seulement à Bouchard, mais aux intellectuels: «Tour d’ivoire 1-le mot interculturalisme ne veut absolument rien dire. 2-ces moralisateurs devraient rester dans leur tour d’ivoire et nous sacrer patienceSource, « Gérard Bouchard passera à l’histoire comme le fossoyeur de la culture québécoise!» ou « Les Bouchard-Taylor de ce monde ne sont plus crédibles. Les faits réels viennent contredire leur idéologie. L’interculturalisme: c’est un terme inventé de toutes pièces pour ne pas utiliser le mot multiculturalisme.». Un peu plus tard, Bouchard annonce plus ou moins clairement qu’il voit l’interculturalisme comme un concept qui doit être cristallisé sous forme de loi et qui peut être non seulement appliqueée à ce qu’il appelle la «diversité ethno-culturelle», mais aussi au cas de la laïcité. Selon lui, il faut rassurer la majorité francophone québécoise (en voir la preuve ici).

Pour ce qui est des vidéos, sur YouTube ou ailleurs, peu d’espace y est consacré. Nous avons trouvé des discours de Richard Martineau sur le cours d’ERC (voir ici) et quelques vidéos qui montre les chefs politiques comme l’ancien chef du Bloc Québécois dire son opinion sur la question (voir ici). Les médias sociaux n’en parlent tout simplement pas. Twitter et Facebook ne sont pas remplis de mentions de l’interculturalisme. Sur ces plates-formes, le terme est pratiquement inexistant.

Pour terminer, nous pouvons dire que la notion d’interculturalisme n’est que rarement dénuée de politique et d’idéologie. Il est aussi très centré sur le débat des accommodements raisonnables, Gérard Bouchard et de la notion de laïcité. Les médias anglophones semblent en parler principalement parce que l’interculturalisme s’oppose au modèle du multiculturalisme. Les médias francophones, eux, s’intéressent au concept lorsqu’il est relié à des faits divers qui ont rapport avec la diversité, la laïcité, le pluralisme et le multiculturalisme. Au Québec (par opposition au reste du Canada), l’interculturalisme est sans aucun doute relié à Gérard Bouchard et est discuté par les médias francophones comme un débat. Les lettres d’opinions sont plus nombreuses que les articles journalistiques et Gérard Bouchard est très présent en écrivant lui-même quelques-unes de ces lettres d’opinions.

Laurie Savard
25 septembre 2011

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