Atelier avec Charles Blattberg : “L’interculturalisme : le danger de l’abstraction”

Charles Blattberg sur l’interculturalisme (compte rendu proposé par Jorge Frozzini)

Le 24 mai 2012, dans le cadre de la série « Ateliers du LABRRI », Charles Blattberg nous a fait part de ses réflexions lors de sa présentation « L’interculturalisme : le danger de l’abstraction ».

Dès le début de son exposé, Charles Blattberg nous dit que la meilleure réponse à un conflit est une démarche dialogique, c’est-à-dire une démarche qui laisse une grande place à l’écoute, à la compréhension et qui a besoin d’une dose d’ouverture de l’esprit. Pour lui, cela constitue une autre possibilité à d’autres types de dialogue faisant appel à l’abstraction.

L’abstraction a quelque chose de bizarre et en même temps elle est partout, car nous l’utilisons de façon constante. Elle crée une séparation entre les concepts. De plus, elle sépare les concepts de nous et eux de nous. Même si nous travaillons de plus en plus avec des abstractions, il y a des variations dans ces dernières ou dans leur utilisation, car cela dépend, entre autres, de notre disposition à en faire (nous aimons en faire ou non, ou nous avons été éduqués pour en faire ou non). Ainsi pour Blattberg, il y a deux types d’abstractions ou de positionnements par rapport à l’abstraction :

  1. Le désengagement est un appel à l’analyse ou, en d’autres termes, diviser les concepts ou les mettre en morceaux pour les remettre ensemble. Cette forme d’abstraction requiert une distance par rapport à l’objet.
  2. Le désintéressement peut être compris comme quelque chose qui est bien en soi. Il y a quatre formes de désintéressement :
    1. gouter (apprécier la beauté de la chose ou l’aborder avec un esprit désintéressé)
    2. jouer (avec un esprit désintéressé)
    3. imaginer (cela comprend le raisonnement hypothétique, les rêves, l’empathie, etc.)
    4. montrer (montrer la beauté des choses, par exemple un spectacle)

Ces deux positionnements ne permettent pas de traiter au sérieux les valeurs selon Blattberg, car on n’arrive pas à y aller dans une conception « thick »[1] de ces dernières. En suivant le même raisonnement, selon Blattberg, l’esthétisme est une forme d’abstraction, car il y a une forme de désengagement et de désintéressement qui sont présents. En ce sens, il explique que les premiers esthètes sont les enfants et par la suite il mentionne les philosophes, car tous les deux utilisent plusieurs éléments de l’abstraction.

Blattberg prend le temps d’expliquer les dangers de l’abstraction lorsque nous sommes en présence d’un conflit, mais aussi lorsque ce conflit met en scène des individus ayant des horizons culturels différents. Pour expliquer ces dangers, il prend l’exemple des droits de la personne. Pour lui, les droits de la personne relèvent d’une catégorie biologique qui dans la pratique deviennent des éléments divisés, ils deviennent une liste ou une collection d’éléments provoquant trois problèmes :

  1. En tant que concepts abstraits séparés, il est facile de jouer avec leur sens.
  2. Il y a une tendance à démotiver les individus en définissant les mots ou les valeurs ainsi, c’est-à-dire en utilisant un jargon qui favorise une distanciation et non un vrai engagement avec ces derniers.
  3. Les droits encouragent des façons très antagonistes d’aborder les conflits. En effet, on parle toujours d’adversaires, d’opposants ou d’ennemis lorsqu’il y a deux parties et les relations que ces catégories soulèvent ne sont pas toujours les plus souhaitables :
    1. Les opposants peuvent être des amis. De plus, on peut aborder une question donnée pour le bien commun.
    2. Un adversaire peut gagner si seulement l’autre perd.
    3. Des ennemis ne visent que la destruction de l’autre.

Ainsi, les droits encouragent des luttes antagonistes qui ne favorisent pas le dialogue. Blattberg explique que le dialogue contient la racine « dia » qui fait référence à « l’entre », à cet espace où il peut y voir une rencontre. Selon ce dernier, il y a trois formes de dialogue :

  1. La plaidoirie suppose une séparation. Nous retrouvons la neutralité du juge devant les adversaires. Dans cette situation, il ne peut y avoir que des gagnants et des perdants. Cette dynamique fait perdre la vérité de la question, selon Blattberg. De plus, il n’y a pas une forme de dialogue dans laquelle « l’entre » a une place primordiale avec des échanges qui vont dans les deux sens. Nous retrouvons plutôt une forme hiérarchique ou verticale d’échanges, c’est-à-dire du haut vers le bas.
  2. Dans la négociation, nous retrouvons deux postures : la bonne foi et la réelle ou la politique. Cette dernière n’étant pas guidée par la tolérance, il y a une volonté d’écraser l’autre, mais comme la personne ou le groupe est trop faible, il doit se résigner à négocier. En effet, avec la tolérance, selon Blattberg, il y a un niveau de respect et il faut faire des concessions. Toutefois, lors d’une négociation de bonne foi, il y a des valeurs que l’on partage. Lors de la négociation, le moyen utilisé le plus souvent est celui de mettre de la pression pour arriver à l’objectif final, c’est-à-dire un accommodement.
  3. La conversation est la meilleure forme de dialogue, selon Blattberg, car les moyens et la fin sont différents. En effet, les moyens sont orientés afin de convaincre l’autre de la vérité de nos arguments. Ainsi, il faut écouter l’autre pour comprendre le pourquoi de ses revendications ou en d’autres termes, il faut apprendre de l’autre. On a besoin d’un esprit ouvert et sans entraves comme l’est la pression qui peut le menacer. La fin recherchée est la compréhension partagée ou un lieu commun. En somme, on vise la résolution du conflit en arrivant à une situation où tout le monde est gagnant, car on arrive à une réconciliation sans compromis avec l’élaboration d’une compréhension partagée.

Cette dernière forme de dialogue est difficile et fragile à réaliser. Comme nous l’avons constaté, le problème avec le discours des droits est l’utilisation constante de la plaidoirie et de la négociation sans jamais essayer la conversation. De plus, on cherche toujours un équilibre ou un compromis à travers de batailles ou des accommodements sans arriver à des réconciliations.

Selon Blattberg, nous avons besoin d’un autre type de théorie des droits pouvant conduire vers un dépassement de la négociation et de la recherche d’accommodements qui ne visent qu’un équilibre entre les parties et cela de façon toujours très antagoniste. Pour lui, il faut faciliter la conversation et la réconciliation, qui dans la recherche du bien commun, intègrent tout le monde.

À la suite de cet exposé, le défi lancé par Blattberg, à son auditoire, a été celui d’articuler quelques positions souvent défendues dans le cadre de certains enjeux politiques sans utiliser le discours des droits. Les enjeux qu’il nous a proposés ont été ceux de l’avortement, le conflit étudiant, le port du hijab et le mariage gai. Cet exercice a permis de démontrer la difficulté, mais non l’impossibilité d’arriver à la résolution d’un conflit à travers la conversation. En effet, nous avons pu constater la faisabilité de cette forme de résolution de conflits et du potentiel que la conversation renferme.


[1] Blattberg différencie une conception « thick » d’une « thin » en suivant le raisonnement suivant : « Est-ce que le concept a des composantes fermes pour le définir solidement ou non? » En d’autres termes, est-ce qu’il dépend d’autres concepts ou non? Pour lui, une conception « thick » a un réseau d’autres conceptions que lui est rattaché et qui permettent de démontrer la complexité à laquelle nous nous confrontons dans le monde.

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