Le forum interculturel de l’imaginaire de l’ÉDIQ
(compte rendu proposé par Jorge Frozzini)

Le 21 février 2012, dans le cadre du Forum organisé par l’Équipe de recherche en partenariat sur la diversité culturelle et l’immigration dans la région de Québec (ÉDIQ), une série d’atelier et de tables rondes ont eu lieu au cours de la journée à l’Université Laval.

L’ÉDIQ est un groupe de recherche qui se donne comme mission « d’examiner les interactions des personnes et des groupes au sein de la société en considérant tant les ancrages historiques que les dynamiques locales récentes. Nous posons l’hypothèse que les nouveaux arrivants et la population locale vivent des transitions qui questionnent la qualité de vie, les identités et les appartenances. »[1]

Le Forum a été l’occasion de nous familiariser avec les membres de l’ÉDIQ, mais aussi avec leur processus de coopération culturelle qu’ils ont mis en place à l’aide de leur méthode « participative et créative de l’Atelier Interculturel de l’Imaginaire (AII). » Les objectifs de cet atelier sont 1) le partage des savoirs, 2) la coopération entre les participants et finalement 3) valoriser la participation citoyenne et un sentiment d’appartenance à la société québécoise. Ainsi, Bob White et moi-même avons pris part à ces ateliers où des personnes de milieux différents partageaient des idées et des expériences. De plus, Bob White a participé à la dernière table ronde intitulée « Coopération culturelle : enjeux et stratégies. »

La journée a commencé avec les habituels mots de bienvenue et une première table ronde autour des « Principes fondateurs de la coopération et perspectives sur le partenariat et l’innovation sociale. » Richard Walling nous a fait part de l’expérience anglophone à Québec et de la vision que les francophones avaient de cette dernière. Lucille Guilbert, de son côté, nous a présenté les principes fondateurs de la coopération, ainsi que l’histoire de l’augmentation de l’immigration à Québec, les besoins exprimés par les communautés et finalement la structure de l’atelier interculturel de l’imaginaire. Cette table ronde a été suivie par deux ateliers et une pièce de théâtre dont je parlerais un peu plus loin. Par la suite, nous avons assisté à la dernière table ronde intitulée « Coopération culturelle : enjeux et stratégies. » Stéphanie Arsenault nous a parlé, entre autres, de la reconnaissance des compétences, du manque d’information donné aux immigrants, de la perception que nous avons des identités comme des structures statiques et de l’importance de nous méfier des étiquettes. De son côté, Lorraine O’Donnell nous a entretenus au sujet du mot anglophone. Ce dernier a une connotation politique tout en étant contesté. De plus, elle nous a parlé de la grande diversité des groupes culturels à l’intérieur des communautés anglophones, des mythes entourant les « anglophones », de la tendance à cacher les échecs ainsi que les conflits et de différents niveaux du sentiment d’appartenance en tant qu’anglophone. Finalement, Bob White nous a parlé, entre autres, de la centralité de se pencher sur la culture lorsqu’on s’intéresse à l’interculturel, de l’incapacité à nommer notre propre culture en Amérique du Nord, de la commensalité[2] et des outils méthodologiques comme l’introspection, la distanciation et le besoin pour tout le monde d’acquérir des compétences interculturelles.

Je voudrais prendre le temps de parler des ateliers et de la pièce de théâtre qui à mon avis ont permis de faire ressortir certains éléments forts intéressants. L’immersion dans l’AII a favorisé la compréhension de la dynamique de cette méthode. Ainsi, quatre périodes d’échange de plus d’une heure ont été nécessaires afin de permettre la mise en récit d’éléments propres aux expériences des participants. L’animatrice ou l’animateur, au début de chaque séance, expliquait aux participants sur quoi ils devaient s’exprimer à l’aide d’une série d’objets qu’ils avaient à leur disposition sur leurs tables. Les participants par la suite utilisaient ces objets pour parler de leurs expériences ou pour se définir. L’utilisation d’objets permettant la distanciation du sujet par rapport à son soi et le déplacement de l’attention de l’autre vers cet objet, et non vers soi, facilite ainsi l’expression de vécus personnels. Toutefois, certaines limites ont été perçues comme le fait de demander de dévoiler sa vulnérabilité devant des inconnus et cela dans l’absence d’une bonne acclimatation des participants, car il était évident que non seulement les participants n’avaient pas saisi parfaitement ce qui était attendu d’eux, mais aussi, il y avait un sentiment de gêne. Deux éléments problématiques sont ressortis : 1) l’importance que les participants maîtrisent bien la langue afin de pouvoir suivre l’exercice et participer sans problèmes; et 2) les spécificités culturelles qui ne permettent pas toujours de se dévoiler si facilement devant des inconnus. Une grande force de ces ateliers est l’opportunité qui est donnée aux participants de pouvoir exprimer leurs opinions ou des frustrations qu’ils souffrent ou ont souffertes. De plus, il leur est permis de penser à des solutions aux problématiques évoquées pendant l’atelier. Toutefois, il est difficile de penser à des solutions bien élaborées dans un laps de temps aussi court. Finalement, il faut aussi remarquer que le partage des expériences, des opinions et des visions du monde permettent aussi la création d’une certaine complicité entre les participants. Cette complicité peut être, entre autres, vécue à travers le partage d’expériences similaires liées au processus d’immigration. Que ces expériences soient heureuses ou frustrantes, elles permettent un rapprochement entre les individus qui comprennent la particularité du vécu de l’Autre en faisant des liens avec leurs propres expériences.

Outre l’atelier, la pièce de théâtre intitulée « À la conquête de la modernité » est une pièce créée par des personnes immigrantes en francisation. Elle met en scène des pirates se dirigeant vers la ville de Montréal afin de la conquérir. S’il est vrai que la pièce a été conçue dans le but de faciliter et d’améliorer la maîtrise du français par ces immigrants, il me semble qu’il y avait plus que ce simple fait lorsque nous analysons sommairement cette pièce. Un élément mentionné dans le document du participant est le déblocage qu’a permis d’effectuer cette œuvre. Ainsi, les individus ayant participé ont pu vaincre leur peur de la langue et commencer à parler avec beaucoup plus d’assurance. Toutefois, malgré ces avancées incroyables, les termes « conquête et modernité » dans le titre laissent songeurs. En effet, pourquoi ces termes et pourquoi cette image de la conquête de la modernité? D’un autre côté, pourquoi des pirates? Une explication est formulée dans le guide qui nous a été remis lors de la journée dont voici l’extrait :

Le thème de la pièce est hérité directement de celui du cours : les pirates. Un étudiant précise qu’ils ont visité un musée ayant le même thème, et que la pièce va pour lui dans la continuité de cette visite. On remarque d’emblée qu’il s’agit d’un thème qui parle à tous. Sous ses aspects enfantins, il permet de créer une unité au sein d’une classe pourtant disparate : tous viennent de pays différents, d’Amérique Latine, mais aussi d’Asie, par exemple. Utiliser un thème relevant d’une mythologie acceptée par tous permet donc de fédérer la classe. Une autre consigne conditionne le travail des étudiants : comme le cours est soumis à certaines conditions ministérielles, relatives aux problèmes que peuvent rencontrer des immigrants dans la société québécoise, le personnel encadrant a décidé d’imposer l’intégration de scènes de la vie moderne, et de montrer des pirates à la conquête de la modernité, d’où le nom de la pièce.[3]

Nous avons ici plusieurs éléments pertinents à l’analyse, mais je voudrais retenir deux de ces derniers (faute de temps et d’espace) qui me paraissent fort particuliers. Le fait que des immigrants soient des pirates et que la société d’accueil soit associée à la modernité. Certes, il y a eu des circonstances conduisant naturellement vers l’élément des pirates comme thème de la pièce, mais les images et les symboles ne sont jamais neutres. En effet, un pirate est par définition un individu ayant un comportement dérangeant qui n’est pas nécessairement accepté par la société qui doit composer avec lui. D’ailleurs, un pirate est une personne qui est de passage afin de profiter, pour ne pas dire voler, les ressources produites dans les lieux qu’il visite. Finalement, un pirate est une personne de qui nous avons peur et qu’il faut tenir à distance. Dans le discours populaire, nous avons tous déjà entendu ou observé certaines réactions faisant état du dérangement produit par la présence des immigrants (pris comme un groupe homogène ou non). Une autre image qui est associée aux immigrants est le fait de constituer un groupe qui est de passage et donc qui n’est pas nécessairement à sa place. Finalement, le fait de profiter des ressources et la volonté de les maintenir à distance sont des images et des attitudes se retrouvant dans certains comportements des individus de la société d’accueil. En jouant avec ces images, on peut avancer que les protagonistes de la pièce, non seulement, ont participé à un exercice de catharsis collective, mais aussi à une critique ludique d’une certaine vision à leur égard. D’un autre côté, l’utilisation de l’image de la modernité, pour faire référence à la société d’accueil, crée une division symbolique entre cette dernière et les autres sociétés. Même si lors de la pièce les pirates reviennent à la vie et donc on fait référence au passé, je ne peux pas faire abstraction du fait que dans un certain discours présent en Amérique du Nord ou ailleurs, les pays dits « occidentaux » sont modernes comparativement à d’autres qui ne le seraient pas. La modernité étant associée au progrès, à la liberté et ainsi de suite. Cette image permet donc d’effectuer une hiérarchisation entre ceux qui sont dans un stade avancé et d’autres qui se retrouvent en arrière.

Le forum nous a permis de constater l’importance d’un espace d’expression où les thèmes abordés touchent l’ensemble des participants et font ainsi ressortir des expériences ou des vécus qui parlent à l’Autre. Les sujets abordés, dont la vulnérabilité et la coopération, sont évocateurs des parcours tant des immigrants que de ceux qu’ils rencontrent tout au long de leurs vies. Toutefois, il y a aussi un élément qui a traversé tous les récits, celui de l’importance des interactions entre les individus. C’est d’ailleurs sur l’amélioration de ces derniers que ce type d’atelier a mis le cap et pourra contribuer d’une façon constructive.


[1] Voir leur site Web à l’adresse suivante : http://www.ediq.ulaval.ca/accueil/

[2] Voir le texte : http://labrri.wordpress.com/2011/10/31/atelier-sur-la-commensalite/

[3] Lucille Guilbert, Forum Interculturel de l’Immaginaire : Cahier du participant. (Québec: Université Laval, 2012), 20.

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