Voici (enfin!) le rapport de synthèse pour notre atelier au mois de mai. J’aurais voulu vous l’envoyer avant, mais nous avions des problèmes techniques et je voulais m’assurer d’avoir la meilleure façon de recevoir vos commentaires.
Vous allez constater que le texte est divisé en deux parties. La première est un résumé de l’atelier préparé par Rachel Boivin-Martin. La deuxième, préparé par Jorge Frozzini et moi, est une analyse synthèse qui fait ressortir quelques enjeux et pistes de réflexion pour l’avenir.
Comme il s’agit d’une version préliminaire du rapport, nous espérons avoir vos réactions, questions, et commentaires. Vous aurez juste à répondre dans le boîte à la fin de l’article.
Bonne lecture et à bientôt,
Bob White
Partie I: Résumé de la journée de réflexion sur l’interculturel
Le 7 mai 2011 le LABRRI et le CIM ont invité praticiens, conseillers et chercheurs à se rencontrer au département d’anthropologie de l’Université de Montréal afin de réfléchir ensemble l’ « interculturel » dans le contexte montréalais. La journée se voulait une occasion pour les participants issus de cultures professionnelles différentes de partager leurs réflexions, leurs vécus, leurs craintes et leurs visions quand à la réalité et au concept de l’« interculturel ». Si l’interculturel se compose de plusieurs facettes et se réfère aujourd’hui autant à une réalité sociologique, qu’à un projet politique, c’est plutôt sous le toit d’une orientation interculturelle[1] que l’invitation a été faite. Des représentants de plusieurs milieux professionnels ont répondus à l’invitation pour cette journée d’échange.[2] La question générale était : Qu’en est-il de l’interculturel à Montréal? Ce bref résumé se veut un retour sur la rencontre et une nouvelle invitation à partager réactions et réflexions. Celui-ci sera fait en deux temps, soit en débutant part une présentation des éléments-clés soulevés par les participants[3], pour ensuite mettre en lumière les défis et les pistes de solution relatives à trois thématiques abordées lors des ateliers-discussions : l’emploi, l’accompagnement et la notion de préjugé.
Qu’est-ce que l’interculturel pour vous?
Les participants ont été appelés à exprimer leurs idées sur le concept. Voici quelques réflexions proposées lors de la première phase de la rencontre:
- En partant de la prémisse que l’interculturel crée un espace de dialogue qui se situe « entre » deux intégrités, le respect de soi et de l’autre sont primordiaux.
- L’interculturel implique la décentration et la compréhension empathique. L’écoute active est un des processus permettant d’aller à la rencontre de l’autre.
- Des distinctions importantes sont à faire entre deux visions qui coexistent : celle de la diversité et celle de l’interculturalisme.[4]
- Il semble y avoir une différence entre l’interculturel « vécu » et l’interculturel comme « représenté » dans les médias.
- La coresponsabilité, la citoyenneté et l’équité sont au cœur du projet interculturel.
- Se pencher sur le concept de l’interculturel nécessite de se pencher sur l’asymétrie des relations de pouvoir.
Thématiques
Trois thématiques ont ensuite été choisies parce qu’elles touchaient de près aux domaines d’expertise et aux problématiques rencontrées par les participants dans le contexte urbain montréalais. Des tables rondes se sont formées autour des enjeux interculturels relatifs à l’emploi, à l’accompagnement des nouveaux arrivants et la notion de préjugé. Voici une brève présentation des principaux propos amenés à la table de discussion :
L’emploi
Faisant l’unanimité chez les participants, l’emploi est considéré comme un des piliers importants de l’insertion dans la société d’accueil. Les mesures prisent par divers acteurs sociaux qui prennent en compte cette idée sont discutées. Par exemple, le programme de parrainage professionnel mis sur pied par la Ville de Montréal démontre sa raison d’être par un taux de placement de 75% des nouveaux arrivants. Tous sont d’accord pour dire que créer des liens fait partie des pistes de solution. Mais ce genre d’initiative reste encore trop rare.
Si l’emploi pour les nouveaux arrivants comporte ses difficultés spécifiques comment les aborder dans une perspective interculturelle? Un participant amène une importante nuance : « L’interculturel n’est pas une réponse mais une approche, une façon de faire. »
Prenons l’exemple du curriculum et de la présentation des compétences. L’acte de rédiger et de lire un curriculum peut présenter une certaine complexité dans le contexte interculturel. Les défis sont autant de l’ordre de la représentation que de la compréhension: L’auteur arrive difficilement à « traduire » ses compétences dans la logique de l’employeur. L’employeur, en revanche, manque de compétences pour les lire. Donc, dans ce type de situation deux maladresses se rencontrent. Une approche interculturelle propose que les deux parties soient mises au défi de développer leurs compétences. L’immigrant peut se former avec l’aide de personnes ressources qui l’accompagnent sur le chemin et pendant le chemin de l’emploi (thème qui sera abordé dans la seconde table ronde). Les employeurs, quand à eux, pourraient créer un comité de sélection diversifié par exemple, tout en développant leurs habiletés de lecture du CV. Comme propose un participant « Il faudrait quelqu’un qui est capable de lire l’interculturel, l’autre culture. »
La reconnaissance des diplômes est un autre enjeu majeur en emploi qui a été plusieurs fois soulevé durant la journée de réflexion. Les participants discutent que de plus grands efforts devraient être déployés par les institutions et les employeurs en terme de souplesse et de transparence relatives aux exigences de l’emploi. D’autre part, les futurs immigrants ont comme tâche de s’informer adéquatement quand aux compétences requises par l’emploi et de suivre l’évolution de leur domaine d’expertise avant et après l’arrivée.
Les participants ont également cru important de discuter des perceptions de la culture d’accueil. Plusieurs intervenants constatent que trop fréquemment les compétences acquises en Occident sont systématiquement plus valorisées que celle acquises ailleurs. Certains dénoncent le mythe d’incompétence plane sur l’expérience « non-occidentale ».
L’accompagnement
Poursuivant dans le domaine du marché du travail, les participants soulèvent l’importance d’établir des partenariats solides et stables à tous les niveaux : employés, employeurs, institutions publiques et privées.
Certains expliquent, par exemple, que les séances d’introduction à la culture d’accueil qui sont offertes sont insuffisantes car elles ne permettent pas aux nouveaux arrivants d’être informés et « prêts ». Ce qui est plutôt proposé lors de la discussion est d’offrir une formation interculturelle orientée vers des situations de vie concrètes et pratiques du quotidien. Par exemple, la prise de contact, les dynamiques interpersonnelles entre employés, avec son patron, avec les clients pourraient faire l’objet d’une formation.
Les participants discutent du rôle du médiateur qui agit comme personne ressource. Il connait les besoins des immigrants et des employeurs et peut ainsi fournir une forme de traduction aidant à la compréhension au niveau institutionnel, interpersonnel,…
Un participant présente aussi les pièges d’une approche qui limiterait le débat à celui de la discrimination dans le milieu de travail : « Trop souvent l’interculturel est réduit à la question de la discrimination dans la société d’accueil ce qui limite considérablement les mesures prises (quotas, accès à l’égalité,…) » On se contente de vouloir contrer la discrimination, quand la solution réside plutôt dans la meilleure connaissance des institutions tant pour les nouveaux arrivants que pour la société d’accueil.
Il aura suffi de tirer sur quelques fils pour apercevoir la complexité de la toile que représente l’emploi. Les deux premières tables rondes accordent une importance égale à la co-construction de solutions. Autant les employeurs que les employés sont acteurs de l’interculturel.
Les préjugés
Une troisième thématique abordée est la notion de préjugé. La question qui a été posée en début de journée fût reprise dans le cadre de cette troisième table-ronde : Comment passer du folklorique à la citoyenneté? Les participants ont discuté du blocage de la rencontre interculturelle par l’activation des préjugés négatifs. (Préjugés sur la religion, le genre, le pays d’origine…). Par la suite les participants ont trouvé nécessaire de nuancer le concept de préjugé en soi. Cela a permis de constater que l’idée du « préjugé » était comprise de deux façons différentes mais non mutuellement exclusives :
D’une part, le préjugé entrave à la compréhension entre « êtres culturels » : des participants expliquent que les idées stéréotypées et les généralisations réductrices font obstacle au développement de la vie citoyenne. Les préjugés enferment l’individu dans une définition propre à sa culture d’origine ce qui limite ses possibilités de se définir, de se faire valoir et d’assumer son rôle de citoyen. Les préjugés peuvent mener à l’exclusion sociale et à la ghettoïsation.
D’autre part, sans pour autant manquer de reconnaître la gravité des pratiques discriminatoires, certains participants ont été plutôt d’avis que le préjugé contre le préjugé peut cacher un autre problème. Pour eux, refuser le préjugé serait de refuser la réalité de la rencontre interculturelle. Le préjugé nous permet de savoir qu’on se heurte à un autre cadre culturel, premier moment du processus d’apprentissage des compétences culturelles. Le préjugé compris comme un héritage culturel, fournit un indice sur notre conception du monde et celle de l’Autre. Pour le travail interculturel, le préjugé ou le nœud interculturel est précieux.
Cette troisième table-ronde a suscité plusieurs prises de position et questionnements intéressants qui n’ont été que brièvement abordés, faute de temps.
En guise de conclusion
En s’inscrivant dans les discussions actuelles sur l’interculturalisme, le LABRRI et le CIM veulent se pencher sur une compréhension de fond de l’« interculturel ». Cette journée de réflexion aura été riche en échanges en permettant à différents acteurs sociaux de partager leurs visions et leurs vécus de l’interculturel. Nous sommes tous araignées d’une même toile, belle et complexe. « Le centre est partout, la périphérie est partout ; aucune fibre ne peut tenir seule en dehors des nœuds qui tissent la toile; l’autre c’est la condition de l’inter-culturalisme, pas l’obstacle à l’interculturalisme; sans vous, je ne suis pas et sans moi, vous n’êtes pas. »[5]
[1] Voir le billet Éléments d’une orientation interculturelle sur http://labrri.wordpress.com/2011/05/05/479/#more-479
[2] Pour une liste complète des participants, voir la fin de ce document.
[3] Le masculin pour « participant » sera utilisé tout au long du résumé, car les notes prises durant la rencontre ne permettent pas toujours de connaître l’identité des interlocuteurs.
[4] Voir à ce sujet le billet publié sur le site du LABRRI : http://labrri.wordpress.com/2011/05/01/panel-sur-linterculturalisme/#more-464
[5] Voir le billet : La sagesse de l’araignée sur http://labrri.net///wp-content/uploads/2011/03/emongoaraignee.pdf
Partie II: Rapport de synthèse
1. Reprise des questions posées en préparation de l’atelier
Quelles sont les pratiques interculturelles, novatrices ou déjà bien établies, à protéger à Montréal?
Nous n’avons pas eu assez de temps pour couvrir toutes les initiatives et innovations connues des participants à l’atelier, mais certaines idées semblaient avoir retenu l’attention de plusieurs personnes. En voici trois en particulier :
- Dans un des groupes, nous avons parlé du programme du « marrainage » (selon El-Hadj un mélange de mentorat professionnel et jumelage interculturel). Autour de cette discussion, nous avons aussi abordé le sujet de l’immersion. Peut-être El-Hadj pourrait nous envoyer plus d’information au sujet de ces éléments ?
- Un autre groupe avait soulevé les programmes de parrainage professionnel (un programme conjoint entre la ville et le ministère). Le succès du programme serait lié au fait qu’il y a une sélection au départ et que les emplois offerts sont choisis en fonction du besoin. Est-ce Caroline qui avait des informations plus précises à ce sujet ?
- Dans le programme de la matinée nous avons parlé de l’initiative du ROMEL, qui a eu un certain succès par le fait d’avoir associé l’association des propriétaires de logement. Cette idée semblait être un bon exemple d’accompagnement autant pour les propriétaires que pour les locataires. Mazen pourriez-vous nous envoyer plus de détails à ce sujet ?
Quels sont les obstacles qui nous empêchent de mieux répondre aux besoins de nos clientèles respectives?
Un premier obstacle mentionné lors de cette journée d’étude constitue les préjugés, au sens négatif du terme. Ces préconceptions fausses de l’Autre empêchent la création d’une relation plus ouverte avec ce dernier. De plus, d’autres problèmes ont des liens directs avec ces fausses préconceptions. Entre autres, les difficultés à intégrer le marché de l’emploi. En effet, le manque d’accompagnement des immigrants et des employés, la méconnaissance des codes culturels, la non-reconnaissance des compétences et des diplômes contribuent à l’absence de l’expérience québécoise qui est demandée. D’autant plus que cette recherche infructueuse d’emploi cause du stress et des problèmes matériels évidents. Certes, il y a aussi d’autres causes à cette fermeture du marché de l’emploi comme l’est le peu d’aide fournie par les ordres professionnels ainsi que les relations de pouvoir.
Un autre obstacle est le manque d’argent des organismes qui viennent en aide aux immigrants, mentionnons aussi la non-connaissance des besoins des individus et les formations interculturelles qui se limitent à donner de l’information sans toucher à la pratique. Un autre grand obstacle est la tendance à réduire tout au seul phénomène de la discrimination, ce qui permet de canaliser les investissements en suivant un seul angle tout en délaissant d’autres touts aussi importants. Finalement, un dernier obstacle mentionné lors de cette journée d’étude fut le manque d’outils pour effectuer des interventions adéquates.
Est-ce qu’il y a un modèle interculturel qui serait spécifique à Montréal et qui serait visible dans le pratique ou les institutions d’ici?
Par rapport à cette troisième question, nous avons jugé qu’il est encore trop tôt pour se prononcer sur cette question, mais sentez-vous à l’aise de répondre à ce sujet si vous avez des idées ou des hypothèses particulières.
2. Quelques moments forts de l’atelier
Nous avons retenu quelques moments qui nous semblaient importants à souligner…
- Le propos d’El-Hadji : Réellement il y a beaucoup de travail qui est mis en œuvre pour que les compétences soient « lisibles ». Mais parfois si ce n ‘est pas au Québec, on dit qu’il n’y a pas d’expérience québécoise, et ça fait défaut – on élimine le CV. Le mythe de l’incompétence : on a un gros pourcentage de personnes qui maintiennent leur poste après le stage, donc le mythe de l’incompétence tombe. ET parfois on me demande : « Ils sont comment les Maghrébins » ? Et moi je leur réponds : « ils sont comment les Québécois » ? Tout dépend des expériences de vie, moi je suis différent des autres membres de ma famille, tout dépend de l’expérience…
- Le propos de Marc : L’accompagnement doit se faire dans les deux sens. Il faut accompagner à la fois l’immigrant, l’employé, et l’employeur. La démarche d’accompagnement doit être à la fois pour les immigrants et les employeurs. Il faut prendre en compte les besoins des immigrants et des employeurs.
- Le propos de Caroline : L’interculturel n’est pas une réponse, mais une approche, une façon de faire, idéalement les comités de sélection doivent se diversifier parce que plus un comité est diversifié, plus on a des regards qui permettent de sélectionner les compétences différentes.
- Le propos de Danielle (?): Le problème que l’on rencontre dans la question de l’accompagnement tient principalement à ce que les difficultés qu’ont les immigrants à trouver un emploi est presque toujours ramené seulement à un phénomène de discriminatoire… les gens ne sont pas ouverts… or le phénomène ne se résume pas qu’à une question de discrimination… il est aussi institutionnel, structurel.
- La suggestion de mettre sur pied une table de concertation sur les relations interculturelles.
- La discussion vers la fin de l’atelier au sujet de l’idée que les institutions du pouvoir au Québec soient monoculturelles. Nous n’avons pas eu assez de temps afin de désamorcer les tensions autour de cette discussion, mais nous sommes d’avis que ces échanges relevaient d’une grande pertinence pour les objectifs de l’atelier.
3. Les mots-clés proposés au début de l’atelier
Décentration
Prise en relation des différences
Compréhension empathique
Création des espaces de dialogue
Équité
Coresponsabilité
Importance de dire le non-dit
Écoute
Ghettoïsation
Ciblage
Responsabilité sociale
Droits
Citoyenneté
Diversité
Récatégorisation
Gestion de la diversité
Participation critique
Communication
Respect
Rencontre
Écoute
Partage
Échange
Entente
Adaptation
Participation
Accompagnement
Autre
Entre
Attente
Reconnaissance
Dialogue
Co-Existence
Relation
Respect
Intégrité
Cohabitation
Droits et responsabilités
Relations de pouvoir
Asymétrie