compte rendu proposé par Jorge Frozzini
Congrès IADA à Montréal : une expérience interdisciplinaire
Du 26 au 30 avril 2011, l’Université de Montréal fut l’hôte de la 13e conférence de « l’International Association for Dialogue Analysis » (IADA). C’était la première fois que cette conférence internationale s’effectuait en Amérique du Nord[1].
D’abord, les plénières nous ont permis d’entendre six chercheurs et chercheuses de renommée internationale sur divers thèmes[2].
- Edda Weigand ouvrit le bal avec une présentation sur sa tentative de produire une théorie qui tienne compte de la complexité de l’être humain. À cette fin, lors de son allocution « Dialogue : Object and Representation », Weigand présenta les prémisses d’une théorie holiste où le dialogue serait intégré à l’ensemble des actions humaines.
- Lors de sa conférence « Dialogue as a Truth-conveying Discursive Strategy », Éric Grillo s’exprima sur l’écart existant entre « dire le vrai » et « être dans le vrai » tel que soulevé par Foucault dans « L’ordre du discours ». Grillo propose ainsi de résoudre l’écart entre la vérité et l’accord, compris ici comme une série de conceptions autour desquelles il y a une entente. Selon Grillo, le dialogue (conçu comme une stratégie discursive) aurait une relation particulière avec la vérité. C’est pourquoi, selon lui, nous faisons appel au dialogue pour résoudre les différends lorsque des questions controversées surgissent.
- Karen Tracy (« Representing Others in Judicial Opinions : A Problem and its Textual Expression ») décrivait les stratégies utilisées par les juges confrontés à des sujets délicats pour lesquels il n’y a pas de consensus. Selon elle, divers types de tactiques sont utilisés par ces derniers afin de donner de la légitimité à leurs propres opinions et ce faisant, réduire celle des autres collègues qui se retrouvent en désaccord avec eux.
- « Does Democracy Need Dialogue? » mit en scène Wolfgang Teubert pour qui les médias imposent une vision du monde. Selon lui, cette situation n’est pas nouvelle, car nous serions toujours en présence d’un dialogue unidirectionnel au sein de ceux-ci. En effet, les citoyens ne sont que les consommateurs d’un certain discours public.
- Lors de son allocution, « Towards an Inclusive Notion of Dialogue for Ethical and Moral Purposes », Alain Létourneau s’exprima sur la difficulté de trouver des solutions lors des interactions sociales. Cette difficulté viendrait du constat que tout est beaucoup plus complexe que toutes nos conceptualisations. Pour ce faire, Létourneau cita Habermas et Buber en passant par Bakhtine, Dewey et Mead pour parler des différentes façons d’expérimenter le dialogue et la multiplicité des angles sous lesquels le dialogue aide à la construction du sens.
- Lors de la plénière « Gender Representation in Parliamentary Dialogue : Are There Any Cross-Cultural Stereotypes? » Cornelia Ilie a fait l’inventaire des différents types de discours utilisés lors des débats parlementaires, des divers styles selon les conventions de ces derniers, ainsi que des relations de genre émergeant de ces interactions. En ce qui a trait aux relations de genre, les parlementaires s’adressent aux autres différemment selon leur genre et cela est vrai tant pour les hommes que pour les femmes.
Ces plénières ont permis d’alimenter une série de questions ou critiques, dont une pouvant être formulée à l’endroit de Weigand, qui, malgré une tentative intéressante à formuler une théorie holiste, reste toujours dans une perspective de domination, voulant saisir l’humain dans son ensemble tout en oubliant que nous sommes des êtres finis à propos desquels nous ne pourrons probablement jamais saisir toute la vérité. Grillo, pour sa part, pense que le dialogue est le seul acte de parole où la vérité est implicite lors de l’interaction. Toutefois, il semble oublier que tout acte de parole ou action implique implicitement la supposition que l’autre dit vrai. De son côté, Teubert croit que les blogues ne font que renforcer les opinions sans les questionner. Il semble oublier les divers blogues où il y a un véritable débat d’idées et ceux qui ont permis de critiquer des gouvernements autoritaires comme en Égypte ou en Tunisie, pour ne nommer que ceux-là.
Ce qui était le plus surprenant dans plusieurs de ces plénières c’était cette préséance de l’analyse sémiotique au point où certains des interlocuteurs se montrèrent épatés par l’utilisation de diverses autres façons d’analyser les interactions et le dialogue. Une autre constatation surprenante fut qu’il n’y a pas eu des références aux relations interculturelles et au dialogue entre individus appartenant à des cultures différentes. Les discussions tentaient d’avancer plusieurs facteurs pouvant influencer le dialogue, mais jamais la question ne fut attaquée directement. Ce n’est que lors des autres présentations que la question fut soulevée par quelques-uns. Quelques collègues ont mentionné les défis du dialogue dans un contexte de diversité ethnique, par exemple en Malaisie où il y a une situation d’injustice sociale et un certain radicalisme religieux qui s’est de plus en plus rependu dans la société. Une collègue nous a expliqué la difficile construction identitaire pour la communauté latino-américaine vivant aux États-Unis à cause des stéréotypes ambiants. Une autre chercheuse nous a expliqué comment la citoyenneté contribue à l’identité de la personne et l’importance d’enseigner aux gens comment prendre la parole afin d’établir un dialogue citoyen.
Certaines conférences traitaient des interactions en situation de crise (sous l’occupation du territoire, dans les camps de réfugiées, lors des disputes ou lors de situations de crise de santé), alors que d’autres présentaient des analyses sémiotiques, sans oublier des analyses de contenu des médias, dont CNN, pendant les années de George W. Bush. Il y était question de la représentation des conflits par les médias qui ne diffèrent pas vraiment de celles du gouvernement en place. Enfin, nous avons eu droit à des présentations beaucoup plus théoriques au sujet du dialogue et de l’altérité ou sur l’écoute comme forme de parole.
Parmi les idées intéressantes présentées lors des conférences, notons celle du ventriloquisme de François Cooren (« Dialogue ans Representation : A Ventriloqual Perspective »), désignant le fait de parler au nom de quelque chose ou d’être animé par quelque chose, par exemple une émotion. Mentionnons aussi ces individus qui nous ont entretenus sur l’importance des artistes et de l’art pour continuer le travail que les politiciens n’ont pas su accomplir et ainsi pouvoir établir un dialogue entre les communautés qui s’affrontent. Finalement, mentionnons la présentation d’une étude sémiotique de la représentation dans un contexte interculturel. Lors de son analyse, Rachid Idrissi Oudrhiri a insisté sur l’un des aspects de l’échange, soit l’indice. Ce concept provient de la typologie de l’acte de parole de C.S.Pierce. L’indice serait ce qui pourrait permettre une meilleure compréhension, puisque l’indice oriente et attire l’attention des interlocuteurs tout en réduisant les interprétations.
Globalement, nous pouvons dire que bon nombre de ces présentations furent très intéressantes et stimulantes. Cependant, dans un cas comme dans l’autre, il y a eu très peu d’analyses du contexte des interactions où les relations ont lieu. Ceci peut expliquer en partie la plus grande surprise lors du colloque, celle de constater la surprise des conférenciers par rapport à la diversité des approches dans l’analyse du dialogue. Devrait-on s’attendre à ce que le dialogue soit unique?