Animé par Bob White, professeur au département d’anthropologie de l’Université de Montréal et Directeur du Laboratoire de recherche sur les relations interculturelles (LABRRI), l’atelier a été présenté le 30 octobre 2023 au LABRRI à la suite de la parution du livre de Jérôme Gosselin-Tapp.
(Compte-rendu écrit par Guy Drudi)
Pour le professeur Jérôme Gosselin-Tapp, le débat sur l’interculturalisme, comme modèle de gestion de la diversité au Québec, se trouve partagé entre le désir d’affirmation nationale de la majorité québécoise et les aspirations des minorités ethniques et religieuses. Développé pour contrer les « effets assimilateurs du multiculturalisme canadien », l’interculturalisme se présente comme une voie d’intégration des minorités ethniques et religieuses à la société québécoise en misant sur une négociation entre les droits individuels et collectifs pour le respect de leurs différences culturelles et religieuses comme groupes et comme individus.
À partir de ce modèle de gestion de la diversité fondé sur la négociation, Jérôme Gosselin-Tapp redéfinit l’interculturalisme en y incluant non seulement les relations entre la majorité québécoise et les minorités ethniques et religieuse, mais également les relations entre la nation québécoise, les nations autochtones et leur appartenance au territoire. Privilégiant les droits individuels aux droits collectifs et définissant le Canada comme une mosaïque ethnoculturelle, le multiculturalisme canadien se trouve en conflit avec les aspirations du Québec et celles des nations autochtones. La présence de ces deux minorités nationales sur le territoire est antérieure à la Confédération canadienne faisant en sorte que leurs besoins d’autonomie territoriale ne se comparent pas à « ceux des minorités issues de l’immigration…» (Gosselin-Tapp, 2023, p. 9). Gosselin-Tapp propose donc une compréhension d’une « autonomie territoriale » qui corresponde aux besoins et aspirations de ces deux minorités nationales qui « partagent le même territoire. » (Gosselin-Tapp, 2023, p. 11). Il remet en question une vision colonialiste westphalienne de l’appropriation d’un territoire selon laquelle la majorité dominante s’impose au détriment des minorités dominées et suggère de renégocier, en particulier entre la nation québécoise et les onze (11) nations autochtones au Québec, une appartenance au territoire au moyen d’un dialogue qui rétablit une justice sociale qui favorise une autodétermination conjointe du territoire.
En privilégiant une « reconnaissance réciproque entre les individus et les groupes » et entre les groupes majoritaire et minoritaires, l’interculturalisme tel que défini, se rapproche d’un modèle de gouvernance autochtone et permet un modèle de gestion de la diversité qui intègre à la fois les revendications historiques de la nation québécoise, celles des nations autochtones et les aspirations des minorités récemment immigrées à s’intégrer au Québec (Gosselin-Tapp, 2023, p. 12). Ce faisant, le dialogue entre la nation québécoise et les nations autochtones, fondé sur leur reconnaissance réciproque, autorise une réconciliation nécessaire pour lutter non seulement contre les dangers que représente le multiculturalisme canadien, mais également contre les conséquences néfastes reliés aux « dérèglements climatiques », (Gosselin-Tapp, 2023, p. 13)
Suite à la conférence, nous eûmes l’occasion d’échanger avec le professeur Gosselin-Tapp autour des questions suivantes : la distinction entre peuple et nation dans le sous-titre du volume qu’il nous présente; la différence entre l’approche interculturaliste et l’interculturalisme; la place de la discrimination vécue par les peuples autochtones au Canada dans la redéfinition de l’interculturalisme.
Pour Jérôme Gosselin-Tapp, le concept de nation fait appel aux institutions politiques, économiques et sociales qui composent l’entité nationale; alors que la notion de peuple réfère à la population qui se reconnait dans la nation. Ainsi, pour dialoguer entre nations, il préfère utiliser l’expression « nations autochtones » plutôt que « peuples autochtones », car une négociation sur l’autodétermination conjointe d’un territoire nécessite des aménagements institutionnels.
En ce qui a trait à la distinction entre l’approche interculturaliste et l’interculturalisme, la première étudie les éléments qui déterminent l’appartenance d’un peuple à une culture, tels que le système de clans qui représente « l’identité collective et de la solidarité du peuple, en respectant toutefois la dignité, l’intégrité et l’identité individuelle de chaque personne. »[1] (Gosselin-Tapp, 2023, p. 114). Tel que mentionné précédemment, l’interculturalisme décrit les pratiques de gestion de la diversité culturelle et religieuse au Québec en contrepartie du modèle multiculturaliste canadien (Gosselin-Tapp, 2023, p. 8).
En référence au troisième point, Jérôme Gosselin-Tapp considère que le racisme et la discrimination sont des concepts issus de la tradition eurocentriste de l’histoire de la pensée. Ses recherches s’inspirent des auteurs des traditions autochtones qui délaissent la notion européenne de « souveraineté territoriale » si importante dans la tradition politique européenne au profit de la gouvernance autochtone qui privilégie une appartenance au territoire développée par certains penseurs autochtones (Gosselin-Tapp, 2023, p. 11). Au Québec, on souhaite « purger les institutions du racisme systémique » alors qu’il faudrait surtout s’adresser aux pratiques de « racisme épistémique » qui ont dépossédés les nations autochtones de leurs ressources naturelles, de leurs pouvoirs (gouvernance, représentations politiques, gestion de leurs communautés) et les ont conduits à des pertes identitaires (cultures, religion, langues, traditions).
[1] Bob Watts https://atlasdespeuplesautochtonesducanada.ca/article/gouvernance/
Jérôme Gosselin-Tapp Ph.D., est Professeur adjoint en philosophie politique contemporaine dans la Faculté de philosophie de l’Université Laval.
Lien vers le livre : Refonder l’interculturalisme. Plaidoyer pour une alliance entre les peuples autochtones et la nation québécoise.
Pluralisme, 2023. 186 pages https://pum.umontreal.ca/catalogue/refonder_linterculturalisme/fichiers.