Atelier avec Bob W. White et Marta Massana sur les dynamiques de cohabitation citoyenne

Compte-rendu par Maude Arsenault

Le 17 février 2017, chercheurs et étudiants du LABRRI, ainsi que certains de leurs partenaires du milieu communautaire, se sont réunis pour parler d’un sujet important pour l’équipe : les dynamiques de cohabitation citoyenne. En effet, depuis un certain temps, le désir de mettre en place cet atelier était manifeste et le déroulement de celui-ci démontre l’avancement de notre pensée sur la question. L’atelier a été animé par Bob W. White et Marta Massana, commençant par des présentations des animateurs et suivi par une discussion et une activité d’analyse en petits groupes.

Les études sur les villes interculturelles ont mené les chercheurs à se poser de nombreuses questions sur les modèles utilisés dans l’analyse des dynamiques de cohabitation citoyenne. Deux approches fréquemment utilisées, soit l’approche interculturelle et l’approche citoyenne, semblent s’entrechoquer sur plusieurs points et même compléter certaines des faiblesses de l’autre. Malgré tout, d’un point de vue systémique, il est important de voir les liens et les écarts entre ces deux approches.

L’équipe du LABRRI s’est donc réunie pour parler des rapprochements citoyens en contexte interculturel et pour réfléchir aux méthodologies qui facilitent la collecte et l’analyse de données dans ce domaine. Lors d’une rencontre entre deux personnes d’origines différentes, qu’elles sont les conditions requises pour faciliter le rapprochement? Qu’elles sont les similitudes et différences entre les approches citoyennes et les approches interculturelles?

Présentation

Dans le cadre du projet recherche en partenariat « Montréal Ville Interculturelle », les chercheurs et les partenaires sont venus à certains questionnements et conclusions qui ont été présentés pour introduire le sujet de la rencontre. Premièrement, il existe, dans nos sociétés occidentales, un paradoxe de plus en plus criant. Alors que la diversité des populations augmente de plus en plus (voir Vertovec sur la notion de « super-diversité »), les groupes vivent de plus en plus des vies parallèles (à ce sujet voir les écrits de Ted Cantle), les uns ayant moins de contacts avec les autres. On peut même voir l’apparition de systèmes à plusieurs vitesses qui mènent vers l’isolement et le renfermement de certains individus et groupes.

Dans ces conditions, comment est-il possible de parler de cohésion sociale? Cette idée est au cœur des deux modèles, au point de devenir un pont ou lien potentiel entre les deux. Évidemment tous les modèles pluralistes sont  à la recherche de la cohésion, mais ils se donnent des outils et des moyens qui varient considérablement.  On parle également de sentiment d’appartenance, que les démocraties définissent en termes de citoyenneté. Définir l’appartenance sous cet angle crée quelques problèmes, telles l’exclusion d’une partie de la population, le manque de reconnaissance des nombreuses autres appartenances, mais aussi la difficulté de s’entendre sur les termes. En effet, plusieurs études démontrent que le rapport à l’État et la compréhension de la citoyenneté varie selon la région du monde et selon la période historique.

La rencontre entre les appartenances multiples et l’idée de citoyenneté, à la base des approches interculturelles et citoyennes, est source de nombreux conflits, puisque les approches interculturelles sont fondées sur des principes pluralistes et les approches citoyennes sur des principes « universels ». La ville devient un lieu de cohabitation obligatoire et témoigne donc des différents modèles qui s’entrechoquent. Ayant plusieurs formes d’appartenance, par exemple les appartenances religieuses, linguistiques ou ethniques, il est difficile de regrouper toute une population sous une même appartenance, comme le voudrait l’approche citoyenne. La distance culturelle, les affinités groupales, la discrimination systémique ou autres obstacles à l’appartenance viennent en effet différencier les citoyens.

En continuant les recherches sur le sujet, il semblait évident que les approches citoyennes et interculturelles sont complémentaires. La première mettait l’accent sur l’importance de l’accès aux droits pour tous et la participation à la vie sociale, alors que la deuxième mettait en lumière les différentes perceptions de ces droits, des variations existantes de la participation sociale en fonction du contexte ou des groupes. Selon cette analyse complémentariste, on ne peut pas avoir de citoyenneté sans droits comme on ne peut pas avoir de droits sans une reconnaissance des caractéristiques culturelles Après ces conclusions, un questionnement persiste : d’un point de vue méthodologique, qu’est-ce qu’on perd de chaque modèle lorsqu’ils sont ainsi mis en commun?

Ateliers à Saint-Michel

Pour faire suite à cette présentation, Marta Massana a présenté les ateliers qui avaient eu lieu dans le quartier St-Michel dans le cadre de rapprochement citoyen. Ceux-ci avaient comme objectif de créer un sentiment d’appartenance et un esprit communautaire dans le quartier. Ayant une forte tradition associative et de concertation ainsi qu’un haut taux d’immigration, le quartier était un endroit idéal pour mettre en place de tels ateliers. Les chercheurs du LABRRI, conscients qu’il existe non pas un mais plusieurs « Saint-Michel », se sont concentrés sur la présence de personnes du Maghreb dans la partie du quartier appelé « petit Maghreb ». Le premier portrait officiel du quartier concluait que 84,7% de cette population considère Saint-Michel comme leur quartier, mais que 50% voudraient déménager ailleurs. Le manque d’avenir, dû à l’absence de Cégep, de vie culturelle et de bons services de transport, seraient la source de cette envie de partir.

C’est ainsi qu’Eurêka, VSMS et le LABRRI ont mis sur pied les Cafés citoyens orientés sur des thématiques propres aux relations interculturelles et à la participation citoyenne, composées d’un volet magistral (experts invités) et d’un volet participatif (partage des connaissances entre participants). L’expression artistique a souvent été utilisée, puisqu’elle a permis d’explorer des côtés plus subjectifs de la question et de faire une médiation entre les participants.

Selon les présentateurs, une vingtaine de types d’ateliers ont été recensés pour encourager la participation citoyenne et privilégier la prise de parole. Certains se concentrent sur la culture citoyenne, soit les différentes conceptions de la participation sociale et politique qui sont apprises et transmises. D’autres se concentrent sur les expériences citoyennes, celles qui peuvent renforcer ou affaiblir le sentiment d’appartenance à une plus grande communauté. Finalement, certains se concentrent sur les situations citoyennes, ces moments d’interactions où les cultures sont à la source de malentendus qui renforcent le sentiment d’exclusion (par exemple, la cohabitation difficile dans les espaces publiques ou commerciaux).

Discussion

La lecture du texte de Ouellet, sur l’importance de la recherche d’équilibre entre l’ouverture à la diversité, l’égalité des chances/équité et finalement la cohésion sociale, permet de le comparer avec la grille d’analyse pluraliste du LABRRI (modèle « 3D » : diversité, discrimination, dialogue), qui vise une prise en considération de la nature complémentariste des courants pluralistes (White, sous presse). Le but premier de ce modèle est de faire travailler ensemble les approches, d’où la pertinence de le transposer dans les travaux sur le rapprochement citoyen.

Un point important de divergence entre les modèles est la présence d’aspects de la citoyenneté (droits économiques et sociaux) qui ne font pas partie de l’interculturelle, mais qui sont des barrières importantes au rapprochement (violence, décrochage scolaire, espérance de vie, etc.). Selon les conférenciers, l’interculturel, à lui seul, rend difficile la prise en compte de ces facteurs de désaffiliation sociale. Il est essentiel de ne pas réduire la rencontre à la reconnaissance de l’autre. Il ne suffit pas de reconnaître l’autre dans sa différence, il est important de considérer l’autre dans son humanité première avec ses besoins essentiels. Ce n’est qu’alors qu’on peut se rendre à la « rencontre » entre soi et l’autre. Il serait donc intéressant, suivant la suggestion de Danielle Gratton, de remplacer le “D” de Discrimination par le “D” de Droit, puisque la discrimination est la difficulté à exercer son droit. Ainsi, il serait possible d’inclure les autres barrières d’accès aux droits, de nature socio-économique.

Activité de groupe 

L’atelier s’est terminé avec une activité de groupe. Composé d’étudiants, de professeurs et de professionnels du milieu, chaque équipe avait comme mandat d’imaginer la réalisation d’un atelier de rapprochement citoyen. Une des équipes voulait créer un atelier de rapprochement entre une institution et ses bénéficiaires. Une autre équipe a profité de l’actualité pour penser à l’importance d’un atelier de rapprochement entre les habitants des quartiers Westmount et St-Marie/St-Jacques, ceux-ci étant visés par une probable fusion municipale. C’est à l’aide d’une formation au sujet de la citoyenneté, d’un atelier anti-rumeur à la saveur de ce qui avait été fait à Barcelone, et finalement à l’aide de projets communs (itinérance, dépréciation de la rue St-Catherine) que cette équipe imaginait le rapprochement. Une troisième équipe avait repris un concept pratique de world café, ayant déjà fait ses preuves pour amener les citoyens ensemble. Finalement, l’idée originale de « soupe interculturelle » a été imaginée par la dernière équipe. C’est à l’aide de cette activité, la préparation de soupe, que l’équipe imaginait rassembler les différents citoyens. À l’aide de questionnements sur les ingrédients utilisés pour la soupe, sur l’identité des cuisiniers, sur les règles d’hygiène, etc., cette activité permettrait à ses participants de prendre conscience des difficultés de l’interculturel et d’être introduits à certaines notions de médiation interculturelle.

Conclusion

Comment conjuguer l’universel et le particulier ? Il est pourtant essentiel de le faire pour s’assurer une cohésion sociale au sein d’une société comportant une population de plus en plus diversifiée. Le modèle citoyen permet de prendre en compte les droits et la participation sociale des citoyens. D’un autre côté, il prend difficilement en compte la différence de conception des droits et de cette participation sociale. En effet, chaque groupe, avec ses traditions culturelles et historiques, n’a pas les mêmes représentations de de ce qu’est la cohésion sociale dans les sociétés complexes. Le modèle interculturel permet de prendre en considération ces différentes représentations. Mais à lui seul, ce modèle laisse de côté les aspects socio-économiques agissant comme barrière à la citoyenneté. Il est donc pertinent de conjuguer les deux modèles, tout en étant conscient, lors de cette mise en commun, du risque de perte de part et d’autre. Le modèle « 3D », permettant aux cadres d’analyses pluralistes de travailler ensemble, pourrait être remodelé et utilisé lors des études de rapprochement citoyen. Celui-ci pourrait servir pour avancer les recherches sur les moyens de faire cohabiter des gens d’origines diverses, avec des besoins universels et particuliers, ainsi que des appartenances multiples, dans le but de renforcer une cohésion sociale.

    Discover more from LABRRI

    Subscribe now to keep reading and get access to the full archive.

    Continue reading