Résumé par Philippe T.Desmarais
Le 15 novembre dernier s’est tenu à l’UQAM une journée de conférences/discussions sur le sujet des approches interactionnistes et du dialogue interculturel, organisées par le GERACII en collaboration avec le LABRRI. Plusieurs chercheurs, professeurs et étudiants se sont présentés et ont participé activement aux discussions et aux tables rondes suivant les présentations des conférenciers et conférencières invitées.
Le panel s’est tenu principalement en trois grandes parties :
- Réflexions sur la notion d’interaction : comment est-elle abordée dans les théories et comment le processus d’interaction se déroule-t-il concrètement?
- Penser l’université comme un champ où agissent plusieurs types d’acteurs : comment se vit l’intégration des étudiants universitaires venus de l’extérieur du Québec?
- Échange sur la charte des valeurs québécoises et quelles applications/conséquences auprès du milieu universitaire?
Bien que les deux dernières parties aient apporté des réflexions importantes sur des sujets qui nous tiennent à cœur, nous avons décidé de ne faire un compte rendu que de la première partie du panel, qui touche directement au sujet des interactions en contexte interculturel. Ce qui suit résume quelques unes des présentations qui se sont tenues en avant-midi. Éventuellement nous aimerions faire un résumé des autres moments de la journée.
Existe-t-il un modèle d’une société proprement interculturelle? (Lomomba Emongo, LABRRI – Université de Montréal)
Tout ce qui existe est en inter-section, c’est-à-dire que tout tient à tout de l’une ou de l’autre manière. Ce constat se résume à une expression empruntée à Raymond Panikkar, soit le ‘pluralisme originel’. Ce pluralisme, qui n’a rien à voir avec le pluralisme entendu dans un sens politique, est un fait qui existe en lui-même. Non seulement les humains vivent de ce fait, mais sont également à la recherche de l’autre, tentent de poser un geste et de recevoir quelque chose de l’autre. Il y a une volonté d’interactions. Le fait que naturellement nous sommes en inter-section, il y a ce désir de nous agir mutuellement. L’interaction émerge ainsi dans le cadre de la diversité, qui se construit par la différence. L’interculturel, quant à lui, présente un grand défi puisque l’on ne peut y échapper. Dans ce cas, il ne peut y avoir de sociétés qui ne sont pas interculturelles, tout autant que personne ne peut échapper à la culture.
Interactions macro/micro (Gaby Hsab, GERACII – UQÀM)
On conçoit l’interaction au niveau micro, puisqu’on le voit comme étant l’action entre des individus. On oublie pourtant que l’interaction se fait également avec notre environnement et avec ce qui nous entoure. Le milieu agit sur nous comme nous agissons sur ce milieu. En ce sens, nous pouvons percevoir l’interaction à un niveau beaucoup plus macro: nous agissons sur le monde et le monde agit sur nous (‘double structuration’ de Giddens).
Réfléchir un cadre théorique et méthodologique face aux interactions (Bob White, LABRRI – Université de Montréal)
- La méthode collaborative, qui propose de réfléchir à comment faire pour travailler avec les gens de façon éthique, systématique et rigoureuse. Il s’agit également dans ce cas de travailler au partage de l’autorité du savoir.
- L’intersubjectivité comme état de fait ontologique (les conditions qui permettent l’échange) et comme relevant d’une éthique relationnelle (ce qui rend les interactions bonnes et morales dans un projet de rapprochement pour réduire les inégalités).
- Modèle critique pour une pensée systémique, dont le point de départ est la pensée de Habermas, qui propose de situer la communication dans un contexte où l’on doit d’abord définir les règles qui permettent une communication qui permet la participation de tous les citoyens (éthique discursive)
- L’approche systémique de l’école de Palo Alto (Bateson entre autres), où l’on tente de naviguer entre les échelles et entre les différents univers de communication.
La relation à l’autre et l’importance des interactions dans la construction et la transformation des représentations sociales et relations amoureuses des jeunes montréalais de première et deuxième génération d’immigrants âgés de 18-23 ans (Caterine Bourassa-Danserau, GERACII – UQÀM)
Présentation des résultats préliminaires de thèse :
Objectifs de base : 1) Tente d’accéder aux représentations sociales des relations amoureuses et sexuelles chez ces jeunes et au processus de construction et de transformation associé aux relations sociales et à leurs pratiques et expériences, à leur vécu en contexte amoureux. 2) Mieux comprendre le rôle de leurs différentes appartenances sociales (ethnoculturelles, genre, classe sociale, statut économique) et la négociation de ces appartenances.
Les jeunes abordent beaucoup la construction et la transformation de leurs représentations sociales en les situant toujours dans un cadre interactionnel. Leur identité se construit, se définit, se transforme dans leur expérience à l’intérieur des rencontres avec leurs partenaires. C’est comme ça que leurs représentations sociales prennent vie. Ils situent leurs représentations sociales dans des cadres interactionnels dans la rencontre, à travers l’expérience. Cette expérience qu’ils utilisent, la relation qu’ils ont avec leur partenaire, c’est soit ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils vivent pour l’instant ou ce qu’ils imaginent comme expériences qu’ils vont vivre. Ils situent leurs représentations dans la rencontre avec l’autre (le partenaire) même si c’est projeté dans des situations qui ne sont pas encore arrivées. L’ensemble de ces relations structure le discours de ces jeunes.
Le potentiel des interactions dans un contexte de recherche-action (Yara El-Ghadban, Université d’Ottawa)
Il existe des conditions à mettre en place pour qu’une initiative d’action ait un impact, ce qui passe notamment par la prise en compte du processus d’interactions. Cela nécessite un rapport égalitaire et politiquement engagé entre les différents acteurs participant au projet, indépendamment du statut. L’action et la capacité d’agir n’existent que dans le rapport aux autres (Hannah Arendt), ce qui permet le pouvoir d’action. Selon la pensée d’Arent, ce rapport avec les autres peut se faire par amitié, compassion ou par solidarité et l’intervenante, comme Arent, privilégie le dernier.
Étude des interactions en soi ou en vue d’un changement social? (Danielle Gratton, LABRRI – Université de Montréal et CEIRI)
Il est insuffisant de ne regarder que les interactions. Il faut regarder les contextes dans lesquels prennent place les interactions et changer les contextes afin de changer les interactions (approche systémique de l’école de Palo Alto). Les interactions interculturelles doivent être pensées en termes de l’acte à poser, selon les différents contextes. Pour les compétences en communication interculturelle, le soi et l’autre doivent avoir toutes les informations nécessaires pour prendre des décisions éclairées en rapport avec l’acte à poser dans un contexte particulier.
Dans les compétences en intervention interculturelle, il faut se poser la question suivante : est-on certain que les intervenants peuvent inclure les données nouvelles qu’ils ont dans leur plan d’intervention et qu’ils ont les connaissances et l’espace nécessaires pour adopter leurs pratiques au besoin?
Dans le cas du milieu de la gestion : Est-on certain que les gestionnaires ont les indicateurs adéquats pour cerner les nouveaux enjeux relatifs au fait de desservir des populations plurielles et gérer des équipes multiethniques dans lesquelles du personnel immigrant se retrouve aussi souvent en double contrainte pris entre les exigences de leur organisation et les personnes venant de leurs propres pays d’origine?
Et finalement, en recherche : Sait-on reconnaître la limite de nos résultats quand ils n’ont pas été testés sur les populations immigrantes?
Présentation de deux projets interculturels (Jérôme Pruneau, Diversité Artistique Montréal)
- L’idée est de créer des binômes entre un artiste immigrant et un citoyen. De ces binômes, on veut mettre de l’avant la création d’un aller-retour entre l’action et la recherche. Première étape = cartographie de la ville. Le citoyen fait visiter Montréal et l’artiste prélève de l’information. Deuxième étape = Mettre les binômes dans un atelier de création pour co-créer une cartographie de la ville. Troisième = Faire une exposition de ces œuvres et une réflexion sur les interactions. Tout ce qu’il manque pour mettre le projet en marche, c’est des subventions.
- Revue Tic-art-toc, qui vise à faire des ponts entre des artistes, des travailleurs culturels et des chercheurs. Les artistes se sont inspirés des textes des chercheurs pour créer des œuvres d’art pour la mise en page du texte. La première édition de cette revue est maintenant disponible et nous y retrouvons entre autres un texte de Bob W. White et de Yara El-Ghadban.