Le 22 novembre dernier a eu lieu la 7e édition des journées d’étude du LABRRI. Cette journée a permis de mettre en lumière des recherches variées portant sur des enjeux interculturels dans des contextes historiques, éducatifs, communautaires et institutionnels. Les chercheurs ont partagé des analyses rigoureuses et des solutions novatrices pour enrichir les pratiques et la compréhension des interactions interculturelles au Québec et ailleurs. Les comptes rendus suivants offrent un aperçu des thématiques abordées.
Une histoire des relations interculturelles au Québec vue à travers le prisme d’un quotidien de langue yiddish publié à Montréal entre 1929 et 1939.
Présentation de Pierre Anctil
Compte-rendu par Guy Drudi
Les témoignages historiques les plus fiables sont ceux qui laissent des traces sur l’évolution d’une idée ou d’un mouvement de société sur plusieurs décennies. Peu d’entre eux font l’objet d’une analyse. La conférence analyse les transformations sociales du Québec occasionnées par l’immigration au début du XXe siècle, en particulier entre 1904 et 1914 lors de la grande migration occasionnée par le Plan Sifton.[1]
Pour approfondir cette question à Montréal avant la Révolution tranquille, Anctil a consulté la page éditoriale d’un quotidien de langue yiddish sur une période de onze ans, soit entre le début de la Grande Dépression économique et le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale (1929-1939). Durant cette période, les immigrants de religion juive sont les plus nombreux à Montréal et la publication du journal en langue yiddish voulait faciliter l’intégration des immigrants à la vie canadienne.
Anctil explore un corpus de 3,169 textes d’opinion, dont 35 % portaient précisément sur les perceptions que les immigrants juifs est-européens de Montréal s’étaient faites précisément de leur société d’accueil et de leurs rapports avec le Canada français, car il faut mentionner que l’histoire du Québec, à cette époque, fut celle des Canadiens français.
Tout en présentant la méthodologie employée par les historiens dans le traitement de sources documentaires abondantes, et les précautions nécessaires dans l’analyse de textes rédigés dans une langue étrangère et à partir de valeurs culturelles très différentes, Anctil énumère quelques conclusions que ce corpus de langue yiddish nous permet de tirer concernant l’histoire de l’interculturalisme à Montréal avant la création en 1968 du ministère québécois de l’Immigration.
- Les éditoriaux de cette époque traitent davantage de l’évolution politique en Allemagne que des actualités canadiennes.
- Ils rejettent à la fois l’angloconformisme des provinces anglophones au Canada et la convergence culturelle du Canada français. Entre ces « deux solitudes » qui composent le Canada, les immigrants juifs se considèrent comme un troisième groupe.
- Ils militent pour la reconnaissance des droits fondamentaux, en particulier l’égalité des femmes.
Plusieurs intérêts sont communs entre les immigrants juifs et le peuple canadien-français, dont la volonté de la survivance. Ils ressentent dans leur mémoire une proximité entre leur histoire et la déportation des Acadiens par les Britanniques.
[1] Le plan Sifton prévoit l’arrivée au Canada de nombreux immigrants en provenance des îles Britanniques, des États-Unis et de l’Europe de l’Est. Ainsi, entre 1902 et 1914, plus de trois millions d’immigrants entreront au pays, dont 400 000 pour la seule année 1913. La moitié de ces immigrants s’établiront dans les provinces de l’ouest, la plupart sur des fermes, alors que l’autre moitié optera pour les villes en pleine croissance industrielles du Québec ou de l’Ontario. Ces nouveaux arrivants constitueront une main-d’œuvre à bon marché fort appréciée, particulièrement dans l’industrie du vêtement. Au Québec, les Juifs et les Italiens formeront le noyau d’immigrants le plus important pendant cette période. (Source : Jocelyn Berhelot, Apprendre à vivre ensemble, Immigration, société et éducation, Montréal, Centrale de l’enseignement du Québec, 1990, p.13.)
Le projet Camie
Présentation de Farrah Bérubé et Jorge Frozzini
Compte-rendu par Renée Dorméus
Le projet CAMIE est l’acronyme de Campus Inclusifs pour les Étudiants de l’international. Cette formation autoportante en ligne est gratuite pour toutes les personnes faisant partie du réseau de l’UQ.
Cet outil de sensibilisation a été pensé pour exposer les réalités et enjeux que les personnes étudiantes internationales (PÉI) traversent, souligner l’importance des actions en commun nécessaires pour le soutien de l’équité, l’inclusion et la diversité socioculturelle en contexte académique et au-delà. CAMIE offre des pistes d’action effectives sur ce que les PÉI sont amenées à comprendre et apporte une aide en fonction de la personne adressée comme les PÉI elles-mêmes, les personnes nées sur le territoire et en contact avec le PÉI ou les membres du registrariat. À l’occasion d’une arrivée dans un nouvel écosystème, les modes opératoires peuvent sembler brumeux et l’adaptation complexe, la formation offre des informations concises et simples pour et à propos des PÉI.
La structure de CAMIE comporte un tronc commun information, puis un parcours divisé pour les étudiants internationaux et les étudiants locaux/ le personnel régulier. On y trouve également des capsules originales avec des étudiants internationaux à l’écran. S’en suit un jeu-questionnaire sans pointage de moins de dix questions ainsi que des ressources additionnelles et complémentaires par campus. À l’issue de cette formation interactive d’une heure non obligatoire, un badge est décerné par courriel aux personnes qui ont participé. La rédaction du contenu a été prise en charge par un groupe d’experts et soumise à de nombreux échanges. Les retours sur expériences sont d’ailleurs recueillis et considérés en vue d’améliorer le projet.
Les raisons pour lesquelles ce projet a été mis en place font suite à un nombre de PÉI en établissements universitaires québécois qui est passé de 24 504 à 48 406 entre 2009 et 2020 (Yamba et al. 2021), aux défis rencontrés dans la vie estudiantine, au choc culturel, au racisme, à la barrière de la langue, au système académique, au réseau social, etc. (Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite en enseignement supérieur – CAPRES, 2019). Des actions de sensibilisation à l’interculturel auprès des divers groupes peuplant les universités sont essentielles et contribuent à l’accomplissement des PÉI.
Explorer la compétence interculturelle : une approche par profils
Présentation de Yvan Leanza, Marianne Couillard et Nolwenn Gonzalez
Compte-rendu de Émile Modderman
Cette présentation regroupe trois projets de recherche qui explorent la notion de « compétence interculturelle » à l’aide d’un questionnaire. Ces projets se sont auprès de trois groupes; des futurs professionnels de la relation d’aide au Québec, des superviseurs en psychologie clinique au Québec, ainsi qu’auprès de futurs intervenants en travail social et ergothérapie dans divers pays et régions francophones (France, Québec, Suisse). À l’aide du questionnaire de personnalité multiculturelle (Multicultural Personality Questionnaire, ou MPQ), il est possible de dresser et évaluer des profils de la compétence interculturelle, définie comme la capacité de comprendre l’interaction interculturelle, et de s’adapter à cette spécificité. Ces projets visent à mettre en évidence les rapports à l’autre chez les professionnels en relation d’aide, leurs défis pour intervenir en contexte de diversité, leurs profils de personnalité multiculturelle et les rapports à d’autres variables. Parmi les projets présentés, deux visent à évaluer les compétences interculturelles des personnes qui entrent dans une profession pouvant comporter des variables et situations interculturelles, et l’autre, effectué auprès de superviseurs en psychologie clinique au Québec, vise à évaluer ces compétences auprès de ceux qui encadrent des professionnels dans ces contextes interculturels. Parmi les compétences mesurées par le questionnaire, le projet se penche sur cinq traits en particulier; stabilité émotionnelle, flexibilité, ouverture d’esprit, empathie culturelle et initiative sociale. Ces traits peuvent nous informer sur la perception qu’ont divers professionnels à propos de nouvelles situations interculturelles et les enjeux liés. Les cinq compétences peuvent aussi être liées à certains comportements, précurseurs et attitudes. Par exemple, une bonne conscience culturelle de soi, ou encore une attitude positive envers les diversités peuvent être des précurseurs de résultats positifs au MPQ. Bien que la présentation se penchait surtout sur les résultats plutôt quantitatifs du MPQ, rempli en ligne, le projet a aussi une dimension plus qualitative, composée d’entrevues semi-dirigées, qui peuvent permettre de mieux cibler ces précurseurs d’une compétence interculturelle.
L’hypothèse principale du projet propose que plusieurs profils différents de personnalité interculturelle existent, et que la compétence interculturelle de ces profils soit directement liée aux variables favorisant la qualité de la relation ou favorable aux diversités. En regroupant les réponses au MPQ en profils, il est alors possible de faire des liens entre ces profils et d’autres variables. Par exemple, en regroupant les traits « ouverture d’esprit » et « stabilité émotionnelle », divers profils peuvent être élaborés en liant l’ouverture/fermeture d’esprit à la stabilité émotionnelle. Une plus grande stabilité émotionnelle implique une meilleure capacité à réagir dans une situation nouvelle, mais peut aussi nous informer de la stabilité des attitudes et de l’ouverture d’esprit. Ainsi, on peut cibler ceux qui sont, par exemple, fermés d’esprits, mais moins stables dans leur fermeture. Ultimement, cette analyse des compétences interculturelles peut contribuer à l’amélioration de diverses formations et pratiques qui visent à sensibiliser divers professionnels à l’importance des enjeux interculturels. Quelques constats ont déjà été faits, démontrant, entre autres, que l’on retrouve des profils similaires d’un contexte à l’autre (national et professionnel). Évidemment, le projet comporte quelques limites. Par exemple, il est possible que les personnes fermées d’esprit et stables soient sous-représentés dans cette étude, simplement car on mentionne la multiculturalité et/ou l’interculturel. Malgré ces limites, ce projet reste une initiative intéressante dans le domaine de l’intervention psychologie et de la culture, et reste une avenue prometteuse pour l’évaluation de la compétence interculturelle et du rapport à l’autre dans ces domaines.
Entre clocher et sous-sol, d’où provient réellement la valeur des églises montréalaises?
Présentation de Samuel Victor
Compte-rendu par David Larrivée
Au Québec, la sécularisation, depuis les années 60, force un changement de paradigme en termes de valorisation des églises et cathédrales. Autrefois des lieux de cultes et de richesse, elles sont aujourd’hui peu fréquentées et, parfois même désacralisées. Plusieurs églises ont été vendues et cédées à des particuliers, des organismes, ou bien les municipalités, n’attirant plus de revenus venant des dîmes et contributions des membres. Les propriétaires des églises doivent maintenant faire preuve de créativité pour mettre au point des stratégies permettant de revitaliser l’utilisation de ces lieux. Cette requalification implique souvent des démarches administratives de rezonage de la propriété dans le but de permettre l’utilisation résidentielle ou commerciale. « La requalification des églises implique généralement la modification de leur statut légal, ce qui entraîne la perte de l’exonération fiscale ».
Pour cette raison, certains propriétaires y voient un grand potentiel à conserver la qualification religieuse. À la suite d’un projet pilote lancé par la ville de Montréal en septembre 2023, certains bâtiments religieux du Centre-Ville ont pu bénéficier d’un processus simplifié pour revitaliser le patrimoine religieux, leur permettant ainsi d’élargir leurs axes d’activité. Dans cet ordre d’idée, Samuel Victor se penche sur une étude de cas de la paroisse anglicane St-Jax.
L’église St-Jax est particulière, puisqu’elle représente un lieu de co-consécration, bénéficiant ainsi d’une exonération fiscale s’élevant à 150 000$ annuellement et d’une multiplication des usages depuis 2015. Le nouveau prêtre, le Révérend Singh, a une vision particulière. Ayant acquis aussi des connaissances approfondies en finance et en économie, sa nouvelle vision pour l’église St-Jax est ambitieuse : il souhaite faire un geste de co-consécration en invitant les non-chrétiens à participer aux activités de l’église. Singh a l’objectif de redéfinir ce qu’est une église aux yeux de la municipalité en devenant un producteur actif de valeurs communautaires. Aujourd’hui, dans les espaces de l’église, on compte un centre de langues, une banque alimentaire, un organisme de service aux réfugiés, mais aussi une compagnie de cirque offrant des spectacles.
L’administration de la ville de Montréal, de son côté, fait valoir que l’église dépasse les limites en permettant les fêtes privées, certains événements à caractère commerciaux, la vente d’alcool et de billets de spectacles.
Pour conclure, les recherches postdoctorales de Samuel Victor concernent le patrimoine religieux et historique du Québec et offrent des analyses de la théologie de l’espace et les stratégies des propriétaires pour revitaliser l’utilisation des églises.
La formation aux compétences interculturelles en contexte municipal à l’ère de l’EDI
Présentation de Bob W. White
Compte-rendu par Shannon Gouppy
Cette communication se penche sur la formation aux compétences interculturelles des fonctionnaires qui travaillent dans les municipalités québécoises. En effet, le « tournant local », notamment des politiques d’intégration, pousse les municipalités à prendre en charge de plus en plus les questions sociales. C’est le cas au Québec. Face aux changements démographiques et à la diversification des groupes de personnes migrantes, les professionnels font face à des situations interculturelles inédites et se retrouvent ainsi dans le besoin d’être outillé. Développer des compétences interculturelles fait de plus en plus partie des stratégies des villes pour agir face à ces situations inédites, pouvant amener polarisations et tensions, pour éviter de reproduire des discriminations dans les pratiques des professionnels, ainsi que pour renforcer le lien social et l’appartenance au territoire local. Ce lien social se joue à différents niveaux : entre employés, entre la ville et les citoyens, et entre citoyens.
Bien entendu, la formation aux compétences interculturelles rencontre quelques difficultés : il y a une explosion du nombre de formations pour fonctionnaires, ceux-ci ont besoin de solutions rapides et certains modèles peuvent entrer en concurrence (par exemple, entre les approches culturelles critiques et le modèle Équité, Diversité et Inclusion (EDI)). Ces difficultés sont notamment liées au fait que parler en termes de compétence peut être délicat, certaines personnes ayant tendance à penser que le développement de compétences concerne des « personnes incompétentes » ; il y a des compétences générales (savoirs, savoir-faire et savoir-être) et spécifiques à développer ; et elles sont difficiles à évaluer. Parler de compétences peut également être anxiogène et donc amener malaises et inconforts.
Ainsi, une des propositions faites aux villes est de ne pas nier l’importance des connaissances objectives, réduire l’accent mis sur les savoir-être et plutôt miser plus sur les savoir-faire. En ce qui concerne les compétences interculturelles, il est proposé de, premièrement, faire une différence entre phase de sensibilisation et de formation des compétences qui prend plus de temps. Deuxièmement, il s’agit de passer d’une logique des compétences culturelles à la logique des compétences interculturelles axée sur l’intervention et sur l’importance de communiquer en contexte interculturel, même si on ne sait rien de la personne en face. Enfin, il faut prendre conscience que le problème n’est pas individuel, mais collectif, notamment au niveau de la culture organisationnelle. Afin d’outiller les fonctionnaires avec des compétences interculturelles, un modèle interculturel a été développé au LABRRI, à partir d’ethnographies indirectes dans des ateliers de situation interculturelle pour comprendre les problèmes spécifiques rencontrés par les professionnels, puis pour proposer des outils à mettre en place dans la pratique des fonctionnaires.